Une sarabande irrésistible : « Des mille et une façon de quitter la Moldavie » de Vladimir Lortchenkov

Décidément, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises avec les Éditions Mirobole. Après de l’horreur russe et suédoise, de fantasques zombies américains et du polar polonais, les voici qui nous offrent un roman moldave balançant entre absurde, satirique, loufoque et tragique.

Le titre de ce roman – Des mille et une façon de quitter la Moldavie –, que l’on doit à Vladimir Lortchenkov, auteur russophone de 35 ans à l’œuvre déjà abondante, annonce d’emblée la couleur. De fait, l’essentiel de l’action se situe dans le petit village moldave de Larga dont tous les habitants n’ont qu’une obsession : gagner l’Italie où, croient-ils, « les robinets déversent du miel au lieu de l’eau, les baignoires sont pleines de carpes bien grasses et les femmes de ménage gagnent mille euros par mois ». Le roman nous narre leurs tentatives parfois ingénieuses, souvent saugrenues pour se frayer un chemin vers la terre promise : la constitution d’une équipe de curling dans l’espoir de participer à des compétitions internationales, la transformation d’un tracteur en avion ou en sous-marin, l’organisation de croisades moyenâgeuses…


L’ensemble est narré en brefs chapitres au style dynamique, qui emportent le lecteur dans une sarabande endiablée pour le faire passer sans répit du rire à l’effroi, de l’enthousiasme à l’affliction. Car Vladimir Lortchenkov a réussi la prouesse de renfermer dans un nombre somme toute restreint de pages une grande quantité d’émotions et de problématiques qui donnent à son texte une portée bien plus vaste que celle d’une simple satire. Certes, il raille certains travers de la Moldavie actuelle – corruption, incurie, fainéantise… –, mais au-delà, il interroge la sempiternelle tendance de l’humanité à penser que l’herbe est toujours plus verte ailleurs, à la fois dans ce qu’elle a de positif (refus de la médiocrité, aspiration à mieux…) et de négatif (à commencer par une incapacité à se confronter à la réalité).


N’allez pas croire pourtant qu’il y ait quoi que ce soit de didactique dans ce roman. Au contraire, Vladimir Lortchenkov semble avoir surtout cherché à relever un défi littéraire, tant les registres sont variés – du lyrisme au cynisme le plus cruel – et les styles divers – de la chronique médiévale à la dépêche journalistique. Avec Des mille et une façons de quitter la Moldavie, on tient un roman ambitieux qui ouvre au lecteur français certes un territoire géographique avec lequel il n’est guère, pour ne pas dire absolument pas familier, mais surtout un territoire littéraire qu’il ne connaît guère mieux. Un territoire qui évoque – en dépit de tout ce que les comparaisons peuvent avoir d’imparfait – ces orchestres tziganes où musiciens, chanteurs et danseurs s’associent pour créer, par-delà le capharnaüm endiablé, une œuvre à la vigueur irrésistible. À laquelle on aurait bien tort de résister.


André Donte

 

Vladimir Lortchenkov, Des mille et une façons de quitter la Moldavie, traduit du russe par Raphaëlle Pache, coll. « Horizons pourpres », Mirobole Éditions, avril 2014, 250 pages, 20 euros
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