Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673), auteur de comédies qui sont la peinture de son époque, acteur et directeur de troupe. Biographie de Molière.

Le Rire de Molière, de Michael Edwards : Une révision salutaire

Molière est assurément l'un des auteurs qui ont suscité le plus de commentaires, chez nous et hors de France. Cela, dès son époque. Si bien que la bibliographie le concernant, lui et son oeuvre, a pris, au fil du temps, des proportions imposantes. On y trouve de tout, des assertions les plus fantaisistes aux études les mieux étayées.

 

Voici qu'un essai vient s'y ajouter et que, loin d'être superfétatoire comme on pouvait le craindre au premier abord, il fait souffler un grand souffle d'air frais, balayant les doctes interprétations aussi bien que les thèses tendancieuses des pontifes, universitaires ou metteurs en scène avides d'originalité.

 

C'est l'oeuvre du poète et essayiste Michael Edwards, qui fut professeur au Collège de France. Il connaît son Molière sur le bout du doigt - entre autres dramaturges, Shakespeare, Racine ou Beckett, auxquels il a consacré des essais. Son propos, restituer dans sa vérité l'auteur du Bourgeois gentilhomme. Dissiper les malentendus qui ont gauchi, dans tous les sens du terme, la portée de ses pièces et ses intentions profondes. Dénoncer les impostures dont son oeuvre a été victime, singulièrement à l'époque moderne.

 

Ainsi part-il en guerre contre la dichotomie fallacieuse qui prétend opposer grandes pièces et pièces mineures, comédies de moeurs ou psychologiques et farces. Les premières, unanimement louées, quand les autres suscitent souvent le mépris. Comme s'il existait deux Molière, l'un soucieux seulement d'amuser, l'autre de "faire penser". Rien de plus factice.

 

Une telle distinction, il est vrai, ne date pas d'aujourd'hui. Déjà, Boileau, dans son Art poétique : "Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe / Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope." Opposition spécieuse dans laquelle toute la critique universitaire, ou quasiment, s'est engouffrée avec son grégarisme habituel. Pas seulement les universitaires, du reste, mais aussi les gens de théâtre. "On a tiré Molière du côté du drame, écrit l'auteur, on l'a joué comme Ibsen ou Tchekhov, dans l'idée peut-être, que la gravité, la tristesse et la mélancolie constituaient un label suprême de qualité. "

 

En réalité, et Michael Edwards le démontre, l'esprit de la farce est omniprésent. Jusque dans les pièces les plus sérieuses, ou sulfureuses, celles qui se laissent plus aisément tirer vers le drame. Ainsi de Dom Juan, dont il propose une analyse lumineuse (le panégyrique du tabac par Sganarelle, au premier acte, donne lieu à un commentaire particulièrement pertinent). Le rire de Molière est, certes, multiforme. Il est toujours joyeux et profond.

 

C'est le rire de l'émerveillement, étonnant et salutaire. Celui qui donne le sens de son théâtre, qui engage autant l'auteur que le spectateur. "Il faudrait, assure l'essayiste, s'aventurer [...] au-delà d'un rire social et utile, et du point de vue particulier sur le malheur de la condition humaine qu'est la satire, pour envisager ce que j'appelle un rire ontologique." Il ne dispense pas de penser, comme prétendent les contempteurs de la farce. A l'inverse, "loin d'écarter le sentiment et la pensée, [il] permet, en étonnant l'être et en illuminant le monde, de mieux sentir et de mieux penser."

 

L'auteur va plus loin. Outre le parti pris, commun à nombre de metteurs en scène modernes, de tirer Molière vers le drame, il leur reproche d'amputer ses comédies-ballets de leur musique pour les réduire au texte seul. Une hérésie injustifiable dans la mesure où les parties lyriques font partie intégrante de la pièce, participent de sa cohérence et de sa beauté. Une amputation que Molière, ce "baladin aux multiples talents" épris de musique et de danses, eût sans doute jugée intolérable. C'est en effet dans ces oeuvres totales que s'épanouit sa vis comica.

 

On l'aura compris : l'essai de Michael Edwards est éminemment salutaire. Aux abstracteurs de quinte essence, à tous ceux qui ont prétendu en faire un clown triste ou, pis encore, un penseur dont l'oeuvre relève de l'interprétation freudienne, ou marxiste, ou structuraliste (sans parler du déconstructivisme qui sévit depuis les années 70 chez nombre de metteurs en scène, lesquels ne reculent pas devant l'inversion, voire la suppression pure et simple de certaines scènes), il oppose, arguments à l'appui, un Molière directement accessible et même fraternel. Tout ensemble joyeux et profond. Plus conforme, à n'en pas douter, à la réalité d'un génie qui n'a pas fini de nous émerveiller.

 

Jacques Aboucaya

 

Michael Edwards, Le Rire de Molière. Éditions de Fallois, septembre 2012. 254 pages, 18 euros.

 

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