Ivre de formes et de sculpture

Après une très belle exposition à la Fondation Maeght (été 2009) voici que le musée Maillol - Fondation Dina Vierny a offert aux parisiens la possibilité de revisiter une très grande partie de l’œuvre du peintre espagnol qui ne s’adonnait point à la sculpture comme un dérivatif à sa peinture, mais bien comme une démarche pleine et entière, à considérer en parallèle de ses tableaux, avec la même intension... 


Jusqu’au 31 juillet 2011 s'est tenue l’exposition à Paris, et pour l’accompagner et marquer cette date (car depuis 1974 et la grande rétrospective du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, il ne s’était point tenu de manifestation d’une telle importance en France).
C’est en 1964, avec la création de la Fondation Maeght que Miró trouve l’écrin à la (dé)mesure de ses œuvres sculptées monumentales : la rencontre entre Joan Miró et Aimé Maeght fut décisive. En effet, voici que pour la première fois, l’œuvre d’un sculpteur est étroitement associée à un projet architectural qui, lui-même, intègre l’approche fusionnelle du matériau et de la nature. La grande fresque de Tal-Coat que l’on découvre sur le mur de l’entrée en témoigne également...

Ainsi, Miró va-t-il créer tout spécialement pour la Fondation cet extraordinaire jardin de sculptures et de céramiques pour emmener le visiteur dans son monde onirique. Comme Alice - mais sans lapin blanc -, il découvrira alors le Labyrinthe imaginé par le maître et se baignera dans cette œuvre unique qui marie sculpture et peinture... Une atmosphère particulière qui s’accompagne de l’odeur des pins parasols et du chant des cigales, autant d’exhausteurs de goût qui font tourner la tête et libère le bonheur d’être ailleurs...
C’est cette magie unique que le musée Maillol a su recréer (cigales en moins) en montrant plus de 160 œuvres, dont 80 sculptures et 27 céramiques.


"Il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme me procure une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il me déclencher un monde."


Miró a créé son propre langage comme s’il voulait, en donnant naissance à ses sculptures, leur offrir le moyen de s’exprimer par le biais d’un dictionnaire des formes dont lui seul serait le rassembleur infatigable capable de fédérer dans un même lieu une courge, une poupée et un embauchoir. Il y a du Lautréamont dans cette vision-là, du Prévert aussi : car il s’agit bien d’une poésie sculptée qui nous soulève et nous transporte vers un univers fantasmagorique.
Miró serait-il le frère de Mary Poppins ?


Sans doute car Monsieur Miró habite un univers virtuel à la frontière de l’extrême réalité de ses créations qui forment une peuplade hétéroclite où les ethnies et les tribus se croisent dans le jeu fin et délicat des métissages impossibles... Voilà que la terre tourne à l’envers, que les êtres dansent cruellement ou s’aiment passionnément. Comme dans toute mythologie les héros sont sexués, et se tournent autour, s’observent, s’aiment, se perdent pour mieux se retrouver car ils sont aussi le miroir du créateur. 


Et derrière cette glace sans tain se disputent les options qui feront de l’œuvre de Miró un théâtre des images. Non pas une farandole de clichés mais bien un scanner des émotions qui mettent en lumière les abstractions qui déroutent, animent et modèlent...
Ne parle-t-on pas alors de sculpture vivante ?


Car Miró est un révolté, un sage rebelle mais un rebelle tout de même. Cela se manifeste cher lui par une extrême défiance à l’égard des sculptures de musée, ce qu’il consignera dans son Carnet de 1941 : il veut se démarquer de cet art pratiqué par ses amis Arp, Picasso et Gonzales. Il veut fuir l’idée de concrétions d’Arp, que l’objet se transforme plutôt que demeurer en l’état... 




Miró portera donc plus de valeur à l’émergence des choses qu’à la réalisation ; aussi ses antisculptures des années 1960-70, érigées avec cet humour souverain qui était le sien, si provocantes à l’égard du classicisme ambiant. Elles sont telles qu’il les a vécues dans son esprit, voulues dans sa chair dès les années 1940. Elles sont les emblèmes de la liberté absolue, elles affichent haut la toute-puissance de la poésie, donnant à voir ce qu’Alberto Giacometti nommait "ce quelque chose de plus aérien, de plus dégagé, de plus léger que tout ce qu[il n’avait] jamais vu."


Faute d'exposition désormais terminée, demeure ce catalogue. Il vous offrira ce bol d’oxygène qui fait si souvent défaut dans notre quotidien grisâtre...


Crédits photographies -
Copyright Lilou, été 2009, Fondation Maeght, Saint-Paul.

 

François Xavier

 

Isabelle Maeght & Patricia Nitti (sous la direction de), Miró sculpteur, 165 illustrations couleur, couverture cartonnée à rabats 240 x 280, Gallimard/Musée Maillol, mars 2011, 200 p. - 35,00 €

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