Capucine Ollivier Trio, « En Brassant Brassens… »

Que Georges Brassens soit compatible avec le jazz relève de l’évidence. Il en convenait lui-même volontiers et ne cachait pas son attrait pour cette musique, singulièrement pour le jazz dit « classique », avec une prédilection pour Django Reinhardt. Ce qui ne saurait surprendre de la part d’un guitariste qui ne prétendait pas à la virtuosité, mais savait ce que « faire la pompe » veut dire. Du reste la plupart de ses mélodies, beaucoup plus variées et subtiles que d’aucuns le prétendent (il suffit de se donner la peine de les écouter vraiment pour en saisir les nuances), se prêtent au swing, cette pulsation caractéristique, et aux broderies improvisées. Un des exemples les plus frappants en est l’un de ses succès les plus populaires, Les Copains d’abord, qui invite irrésistiblement à taper du pied et à claquer des doigts, et se clôt, dans sa version originale, par une imitation de trompette bouchée digne d’un chorus de jazz.

 

Ces affinités pour ainsi dire naturelles expliquent que nombre de musiciens et de groupes aient puisé dans son répertoire pour tenter, avec plus ou moins de bonheur, de le jazzifier. Parmi les tentatives les plus notables, celle de l’ensemble Les Pommes de ma douche, dédié au jazz manouche, et celle de l’ensemble traditionnel Contreband où le cornettiste et chanteur Guy Dargent détaille avec gourmandise les couplets de Brassens. Sans parler, bien entendu, des enregistrements jubilatoires que l’auteur-compositeur réalisa lui-même en 1979, en compagnie de grands du jazz, se fondant au sein de l’orchestre pour assurer un impeccable soutien rythmique. L’initiative de cette rencontre était due à son ami le batteur Moustache, « ce gras du bide de Moustache » ainsi qu’il le nomme dans une de ses chansons.

 

Ce préambule pour souligner que le mariage entre le jazz et l’auteur du Gorille, mariage d’amour et non d’argent, il va sans dire, ne date pas d’hier. Il revient pourtant à l’ordre du jour avec un album de Capucine Ollivier qui tranche sur la production courante. C’est un disque doux-amer dont les charmes s’insinuent, perdurent, résistent à plusieurs écoutes. Un de ces disques dont l’originalité séduit d’emblée. Qui instaurent un climat.

 

En outre, un vrai disque de jazz qui met en œuvre toutes les ressources de cet art, l’improvisation, le scat, l’usage d’harmonies qui infléchissent et colorent la mélodie. A l’inverse de ceux qui cherchent à donner du répertoire de Brassens une interprétation quasi littérale, insistant surtout sur son aspect rythmique, Capucine Ollivier s’attache davantage à l’esprit qu’à la lettre. Ou plutôt chacun des morceaux est passé au filtre de sa propre sensibilité. De chaque chanson, elle ne retient qu’un couplet, qu’elle chante en suivant sa propre inspiration, lui imprimant un tempo nouveau, des brisures rythmiques, modifiant imperceptiblement la mélodie pour mieux la faire sienne, avant de se lancer dans des scats aventureux mais parfaitement maîtrisés, passant le relais aux instrumentistes qui prolongent son discours, l’illustrent de leurs propres commentaires. Ainsi entraîne-t-elle l’auditeur dans un univers dont Brassens serait le centre, mais qu’elle dessinerait à son gré, lui imprimant des nuances improbables, des volutes et des inflexions nouvelles. Elle évoque en plus d’une occurrence Chet Baker, à qui elle a déjà consacré un disque, par sa manière de chanter volontairement dépourvue d’expressivité. Par une certaine langueur crépusculaire qui reste la tonalité essentielle de cet album.

 

Ses deux partenaires, Jean-Bernard Oury à la trompette et au bugle, Alain Soler à la guitare, prennent une part entière à la réussite de ce projet. Loin d’être de simples accompagnateurs, ils assument chacun leur part d’une entreprise de détournement qui tient de l’hommage fervent bien plus que du hold-up crapuleux. Leurs improvisations s’inscrivent en contrepoint de celles de la chanteuse. Ils évoluent en toute liberté sans que soit jamais mise en péril l’homogénéité du trio. Tel est le fruit d’une écoute et d’une stimulation mutuelles. 

 

Une réussite, donc, qu’il convient de saluer. Petite restriction, toutefois : pourquoi avoir « féminisé » intempestivement le beau poème d’Antoine Pol, Les Passantes, au risque d’en faire boiter quelques vers ? Je ne suis pas sûr que Brassens, grand admiratuer de La Fontaine et de Verlaine, qui veillait avec un soin méticuleux, dans ses propres textes, au respect de la prosodie et de la métrique, eût approuvé cette initiative… Péché véniel, certes. On l’absoudra volontiers.

 

Jacques Aboucaya

 

Capucine Ollivier Trio, En Brassant Brassens…, 1 CD Label Durance/Orkhêstra international, 2014

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