Les Oracles du Phono : Sous les meilleurs auspices

Un enregistrement des Oracles du phono, jeune ensemble qui a remporté en juillet dernier la première place au Jazz Contest de Megève.  Sans conteste, l’une des satisfactions de ces derniers mois. A plusieurs titres. D’abord parce qu’il permet de combattre une idée reçue selon laquelle le jazz dit traditionnel, ou classique, serait mort et enterré. De mesurer aussi une réalité trop souvent celée, à savoir que ce style conserve à l’heure actuelle des adeptes fervents, et pas seulement chez les amateurs les plus chevronnés. A preuve, l’âge moyen des membres de l’orchestre. C’est que la musique de Jelly Roll Morton, de Fletcher Henderson, Tiny Parham, Clarence Williams et autres pionniers conserve intacte une fraîcheur que révèle cet album.

 

Autre motif de se réjouir, outre cette vitalité intacte, c’est l’amalgame parfait entre des professionnels chevronnés et des amateurs (ou semi-amateurs) dont la technique ne pâlit nullement du voisinage de solistes tels que Daniel Huck et Stan Laferrière. Tous se rejoignent dans la même joie de redonner vie à des standards éprouvés – le King Porter Stomp de Jelly Roll,  If I Could Be With You de James P Johnson, Body And Soul dont Coleman Hawkins donna, en 1939, une version inoubliable – et à des thèmes moins souvent joués,  tels Walk That Broad ou  What Good Am I Without You. Même enthousiasme communicatif, même émulation, même qualité des solistes parmi lesquels il serait vain de tenter d’établir une hiérarchie tant chacun a manifestement à cœur moins de se mettre en valeur individuellement que d’apporter à l’ensemble ce qu’il est en mesure de lui fournir de meilleur. Ainsi n’est-il nullement question de pâle copie, de revivalisme nostalgique, mais d’une véritable re-création.

 

Un mot, avant de détailler tout cela, sur le nom quelque peu énigmatique  que s’est choisi ce groupe né à Dijon et qui témoigne de la vitalité musicale de la Bourgogne. Les plus perspicaces n’auront pas manqué d’y retrouver le quasi anagramme de l’Orphéon Célesta, un de ses modèles, que son leader, le poly instrumentiste Emmanuel Hussenot, a conduit dans le monde entier, depuis une trentaine d’années, sur les sentiers de la gloire. Il est vrai qu’on retrouve ici la même passion pour le jazz des années 20 et 30  et, souvent, le même sens de l’humour. Mais on ne peut manquer de saisir le clin d’œil à l’antique phonographe qui permettait de découvrir les premiers enregistrements  crachotants, parasités par des craquements. Lesquels ne parvenaient pas, toutefois,  à occulter le talent de King Oliver, de Louis Armstrong,  de tous les prophètes d’une musique qui allait bouleverser le vingtième siècle. Tels sont les oracles qu’il incombe à leurs descendants de célébrer.

 

Les membres du sextette originel méritent tous d’être cités, à commencer par la cheville ouvrière de l’ensemble, le saxophoniste et clarinettiste Nicolas  Fourgeux. Il est l’auteur d’arrangements tout à fait stimulants, réussissant à restituer, sans l’ombre d’un plagiat, la couleur sonore des ensembles de l’époque pré-swing. Efficacité, mais aussi subtilité, art de créer une ambiance et un équilibre, de jouer sur les oppositions ou les complémentarités des voix. De procurer au soliste un tremplin d’une élasticité à toute épreuve. Cela sans préjudice de ses propres qualités d’improvisateur, tant à l’alto qu’au ténor. Qualités qui sont aussi celles de l’excellent Jacques Sallent, au cornet (et au bugle dans Body And Soul). Ce dernier en a, au cours de sa carrière, fait bénéficier plusieurs formations, du combo au big band. Disciple de Buck Clayton, il rappelle souvent le phrasé élégant, la sonorité à la dois puissante et légère, le swing de celui qui fut l’un des meilleurs solistes qu’ait jamais comptés le Count Basie Orchestra. Semblable imprégnation des grands de la période qui précéda immédiatement l’ère Swing chez le tromboniste Vincent Libra,  dont on apprécie la netteté de l’attaque et l’articulation précise, chez Jean-Pierre « Max » Carré, dont le banjo participe pleinement au son si « goûteux » de l’ensemble, tout comme le sousaphone de Mathieu Bianconi, à la discrétion exemplaire.

 

A ce groupe viennent s’adjoindre, sans en altérer la cohérence mais, au contraire, en l’exaltant, deux musiciens qui comptent parmi les valeurs sûres du jazz, et pas seulement traditionnel : Marc Laferrière et Daniel Huck. Le premier, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre,  à l’aise sur plusieurs instruments et plusieurs registres, assure ici à la batterie une assise rythmique aussi rigoureuse que stimulante. Le second, alternant  saxo alto et scat vertigineux dont il a le secret, apporte le supplément de folie qui transcende littéralement certains morceaux et porte à l’incandescence un groupe dont on n’a pas fini de parler. Avis aux Parisiens, Les Oracles du Phono leur donnent rendez-vous le 19 février prochain au Petit Journal Montparnasse  pour le lancement de l’album. A vos tablettes !

 

Jacques Aboucaya

 

Les Oracles du Phono, Cryin’ For The Carolines, 1 CD enregistré les 12 et 13 nov. 2013, paru en 2014 chez Frémeaux  & Associés, distribution  Socadisc

 

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