Jazz : deux trios attachants
Devant la profusion de disques publiés chaque mois, il paraît bon, et même nécessaire, d’en signaler quelques-uns. Ils méritent, par leurs qualités, leur originalité, d’être mis en exergue. Non qu’ils soient les seuls à sortir du lot, bien sûr. Mais il faudrait des jours de quarante-huit heures pour tout écouter et prétendre à l’exhaustivité ! On se bornera donc ici à en citer deux parmi les plus dignes d’intérêt.
L’originalité de ce dernier (et du trio qu’il forme avec Adrien Rodriguez et Benjamin Naud) est ailleurs. Si la formule « canonique » du trio piano-contrebasse-batterie est respectée, l’entente, pour ne pas dire l’osmose, est telle entre les trois partenaires que le traitement des compositions du leader reflète une rare unité de sensibilité et d’inspiration. Chacun s’inscrit en effet dans une démarche collective, relayant selon sa propre personnalité les idées du pianiste, leur fournissant contrepoints, développements ou commentaires. Tant et si bien que l’auditeur a l’impression d’une création spontanée dont l’homogénéité résulte d’une véritable complicité.
Il va sans dire que cet album éponyme (1), le premier enregistré par le groupe, reflète imparfaitement l’impression d’absolue fraîcheur reçue en direct. Mais, outre qu’il aura le mérite de faire connaître de jeunes musiciens talentueux, il permet de mieux appréhender, voire décortiquer la manière du pianiste.
Non qu’elle se puisse réduire à celle de ses maîtres, avoués ou implicites : Thelonious Monk pour l’utilisation du silence, Jacky Terrasson, pour le toucher percussif et les figures rythmiques. Voire Keith Jarrett pour l’usage de la réitération. Celle-ci, même si elle apparaît parfois un peu trop systématique, lui est un tremplin pour l’essor de son imagination. Laquelle s’abreuve aussi bien au jazz qu’à la musique classique et contemporaine. C’est Antée reprenant vigueur en touchant terre, et ces ressourcements sont souvent, pour l’auditeur, source d’intense plaisir.
Quant à Grégory Daltin, il est assurément porté par la vogue actuelle d’un instrument qui n’a jamais été réputé pour son aptitude à faire swinguer les musiciens de jazz. Pourtant, Duke Ellington, à ses débuts, ne dédaigna pas de l’utiliser dans quelques-uns de ses enregistrements et des précurseurs tels que Gus Viseur ont laissé quelque trace dans la mémoire des amateurs. Sans parler, évidemment, de musiciens de l’envergure d’Astor Piazzolla ou de Richard Galliano, lequel est, avec Didier Lockwood, à l’origine du renouveau de cet instrument. Or le mérite de Daltin est de s’affranchir de ces influences, si prestigieuses soient-elles, comme de celle de ses compatriotes Daniel Mille ou Vincent Peyrani. Il donne libre cours à sa fantaisie qui le conduit, appuyé sur une rythmique des plus solides, à des explorations aussi cohérentes qu’inattendues. Un trio dont on devrait à coup sûr reparler.
Jacques Aboucaya
1 – Lorenzo Naccarato Trio, Laborie Jazz, dist. Socadisc.
2 – Le Tango de l’autruche, Klarthe Records, dist Harmonia Mundi.
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