L'Étrange Vie de Nobody Owens, tome 1

Un enfant s'échappe de chez lui la nuit où Jack le meurtrier assassine toute sa famille. Il trouve refuge par hasard dans un cimetière hanté. Monsieur et Madame Owens, deux spectres en mal de parentalité, choisissent de l'adopter et le prénomment Nobody, ou plus simplement Bod.

La présence de l'enfant est vite acceptée par l'incroyable faune fantomatique du cimetière, et Silas le vampire est désigné comme son tuteur. Car Bod va devoir apprendre à vivre avec les morts, mais aussi les vivants…


Je l'avoue : je ne suis pas féru de Neil Gaiman.

Non pas que je n'apprécie pas les qualités indéniables de l'artiste et de ses travaux (comics ou romans), mais je ne suis jamais réellement rentré dans son univers personnel. À sa sortie en 2008, je n'avais pas lu The Graveyard  (titre de la version originale ; littéralement Le Cimetière) (1). En ouvrant cet album, j'étais donc curieux de savoir si le déclic allait se produire. Cassons tout de suite le suspens : j'ai beaucoup aimé.


L'Étrange Vie de Nobody Owens a été adapté en comic book par Daniel G. Russel, qui avait déjà collaboré avec Gaiman sur son œuvre culte, Sandman. Il est accompagné aux dessins par plusieurs dessinateurs, chacun s'occupant d'un chapitre de l'histoire. Fort heureusement, le style des dessinateurs se marient plutôt bien ensembles. Il y a une belle cohérence graphique d'une partie à une autre, rien qui ne vient briser le charme si particulier de cet album.


Gaiman construit son histoire en six chapitres, six histoires plutôt indépendantes, comme des épisodes liés par un fil rouge. On retrouve bien quelques personnages ou lieux d'un chapitre à l'autre, mais il n'y a vraiment que dans le dernier tier qu'une réelle continuité se fait sentir, alors que de gros événements se profilent à l'horizon.


Le cimetière est le décor principal de l'histoire. Neil Gaiman prend soin de le détailler, le peaufiner au cours des premiers chapitres, à mesure que Nobody découvre son nouvel environnement et qu'il grandit. Les morts ne sont jamais perçus comme une menace, bien au contraire. Les fantômes lui apprennent à lire sur les pierres tombales ; Silas le vampire, son tuteur, lui fournit moult conseils fort avisés, et un loup-garou lui sauvera la vie un peu plus tard. Même les Goules sont plus bêtes que réellement méchantes. Le cimetière est presque un terrain de jeu, dans lequel le temps s'est arrêté à jamais pour ses occupants. Les fantômes y vivent selon des habitudes qui ne sont plus de notre époque. Inversement, le monde des vivants, symbolisé par la ville toute proche, est presque effrayante et déshumanisé. Gaiman s'évertue à construire ce petit monde post-mortem avec une douceur et une tendresse touchante. Il se dégage de l'ensemble comme une belle poésie, tant narrative que visuelle.


L'Étrange Vie de Nobody Owens c'est aussi un récit initiatique, et en ce sens, il m'a beaucoup fait penser à un classique de Rudyard Kipling, Le Livre de la jungle. Il y a, chez Neil Gaiman et Craig Russel, la même volonté de décrire le monde actuel par métaphore. Remplacez la forêt par le cimetière, les animaux par les créatures de la nuit, et on y est. En parlant des morts, Gaiman nous parle de nous, les (soit disant) vivants. Il le dit simplement, en utilisant la structure du conte, mais jamais de manière simpliste. On se surprend à repenser à ce petit Nobody, habitant ce petit cimetière de campagne, coincé entre les morts et les vivants…


Le tome deux paraîtra début 2016. Autant dire que l'attente va être terriblement longue tant L'Étrange Vie de Nobody Owens m'a charmé et enchanté.



Stéphane Le Troëdec



(1) Cliquez ici pour lire la critique du Salon Littéraire.


Neil Gaiman, Philip Craig Russel (scénario et dessins)

L'Étrange Vie de Nobody Owens, tome 1

Édité en France par Delcourt (20 mai 2015)

Collection Contrebande

200 pages couleurs sur papier glacé et sous couverture cartonnée

19,99 euros

ISBN : 9782756067971

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