Itinéraire autour du Mont Fuji avec Hokusaï

Dans l’art comme en littérature, selon le conseil des auteurs anciens, une belle œuvre est couronnée par la qualité de celui qui la reçoit. Le chemin vers l’émotion est partagé et l’artiste comme l’écrivain, s’ils en sont à la source, attendent aussi quelqu’un pour s’y abreuver.
Érudit, en contact avec les poètes de son temps dont il illustrait les ouvrages, fin connaisseur des traditions de son pays, appréciant l’humour et saisissant l’instant parfait d’une situation, Hokusaï (1760-1849) a toujours eu une interprétation très personnelle des scènes, des paysages, des personnages du Japon de son époque. Il dessinait, on le sait, avec un plaisir sans fin, et se nommait lui-même le vieillard fou de dessins.
Il ne faut pas manquer de relire ce qu’il écrivait, un témoignage de modestie, de sincérité mêlée d’une pointe de moquerie peut-être, une leçon de sagesse, d’ouverture, de curiosité, que chacun peut faire sienne. Depuis l’âge de 6 ans, j’avais la manie de dessiner la forme des objets. Vers l’âge de 50 ans, j’avais publié une infinité de dessins, mais tout ce que j’ai produit avant l’âge de 70 ans ne vaut pas la peine d’être compté. C'est à l’âge de 73 ans que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et des insectes. Par conséquent, à l’âge de 80 ans, j’aurai fait encore plus de progrès ; à 90 ans, je pénétrerai le mystère des choses ;  à 100 ans, je serai certainement parvenu à un stade merveilleux et, quand j’aurai 110 ans, tout ce que je ferai, un point, une ligne, sera vivant.
Une source où se rafraîchir !

Nous voici à la période d’Edo, (1615-1868), quand le théâtre du kabuki devient à la mode, le roman attire les lecteurs, une timide ouverture vers l’extérieur s’effectue. La prospérité de l’archipel s’accompagne d’un raffinement dans la culture, en dépit de certaines luttes de pouvoir La notion de monde flottant formulée par Asai Ryôi (1612-1691), auteur  de l’Ukiyo monogatari est à rappeler. Ce qui compte, c’est le moment présent, l’admiration de la nature, une sorte de profondeur du regard sur le temps qui impose de profiter de son bref passage. Sa traduction visuelle donne ses vues en quelque sorte narratives, une page d’histoire sociale soudain visible, comme si l’éphémère se fixait. Autour de la montagne sacrée des Japonais se déroule la longue série des dessins, aux nuances délicates, avec des perspectives impensables, les chemins à gravir, les ponts à traverser, les branches qui se balancent au vent, les oiseaux qui passent dans l’indifférence des pêcheurs, l’activité des porteurs. À l’horizon, cône blanc majestueux, la présence tutélaire du Fuji. Le trait est vif, précis.

L’intervention de Hokusai lui-même dans cette œuvre dépasse largement son génie de dessinateur et l’inspiration d’un observateur habité par la beauté multiple du monde. Non seulement chaque composition – c'est-à-dire chaque feuille est d’une inspiration renouvelée et surprenante, mais la force de l’amour quasi mystique qui lie l’homme et la montagne touche notre émotion et surprend nos conceptions esthétiques. Dans cette œuvre inhabituel pour lui, l’occident à juste titre y verra le génie intégral, neuf, authentique, d’autant plus séduisant qu’il porte sur le quotidien un regard inédit dont les impressionnistes retiendront la leçon. Ces dessins que l’auteur confie aux graveurs en 1834 font l’objet d’une réimpression fidèle à celle à celle de l’époque, en trois volumes, aussi élégants que pratiques. En quelque sorte le testament du maître dans les mains. Il faut savoir gré à Nelly Delay, historienne d’art, spécialiste de l’art japonais ancien, d’inviter le lecteur à voyager dans cet univers artistique sans pareil, autour du Mont Fuji.

Dominique Vergnon

Nelly Delay, Hokusaï, les cents vues du Mont Fuji, 384 illustrations, 170 x 235, Hazan, mars 2020, 166 p.- (livret explicatif de 48 p.-), 29,95 euros

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