"Les Fidélités successives" de Nicolas d’Estienne d’Orves : manipulations et autres dévoiements

Les oscillations, dévoiements et retournements humains dans les temps difficiles sont un riche sujet de roman : Nicolas d’Estienne d’Orves a choisi de les décrire dans le contexte particulièrement tumultueux de la France occupée. Le héros, puis la victime en est un journaliste à Je suis partout, Guillaume Berkeley, évidemment mêlé de près à la vie parisienne. Ce qui vaut au lecteur des phrases qui, sans doute, feront sursauter quelques anciens, telles que : « Le monde est en train de changer, Guillaume, dit Pauline […] tandis que nous rentrions d’un dîner chez Alain Laubreaux. » Les initiales du nom sont-elles accidentelles ?...

 

Berkeley et sa femme, la variable Pauline, fréquentent donc des collabos, mais n’en sont pas ; ils cachent ainsi des juifs polonais. Hélas, cela vaut à Guillaume d’être appréhendé par les sbires d’Henri Lafont, torturé et relâché quand même sur l’intervention d’un certain « Monsieur R. » Qui est-il ? Le chef d’un « réseau Gabriel » auquel appartient Berkeley. À la Libération, Berkeley est arrêté et condamné à mort ; incarcéré à Clairvaux  en compagnie de son ami Lucien Rebatet, rien de moins. Puis il est gracié in extremis sur l’intervention de divers écrivains (on y relève, ce qui est peu probable, le nom de Sacha Guitry, qui venait, lui, d’en réchapper). Et l’auteur d’inventer une plaidoirie de François Mauriac : « Exécuter Guillaume Berkeley, c’est exécuter une certaine idée du pardon et du rachat. »  Il est vrai qu’il met aussi dans la bouche de Rebatet une injure peu probable : « Cette crapule de Maurras ».

Mais les confidences d’un familier font découvrir à Berkeley qu’il avait été manipulé par le réseau Gabriel : celui-ci feignait de sauver des juifs, alors qu’il les livrait ensuite aux Allemands après les avoir dépouillés de leur argent, pour aider la véritable Résistance… Atterré par ces révélations, comprenant qu’il a été manipulé et qu’il a causé des morts, Berkeley se suicide.

 

Comme ce n’est pas un ouvrage d’histoire, on ne s’attardera pas sur les libertés que l’auteur prend avec la réalité. On se contentera de rester perplexe sur le nom du mystérieux « Monsieur R. », qui envoie des juifs à la mort après les avoir dépouillés, Rufus Schrammelstein.

D’Estienne d’Orves a une riche imagination…

 

Gerald Messadié

 

Nicolas d’Estienne d’Orves, Les Fidélités successives, Albin Michel, août 2012, 716 p., 21,90 €

4 commentaires

Les Fidélités Successives obtient le Prix Cazes - Brasserie Lipp 2012

Quel est l'intérêt de dévoiler toute l'intrigue dans une critique?  Vraiment je trouve cela irrespectueux des autres lecteurs la moindre des choses alors c'est de prévenir que c'est un résumé du livre et pas une critique. 

C'est un vieux débat, Alice, et certains préviennent avec de gros sabots "à partir de maintenant il risque de vous être dévoilés des secrets de l'intrigue" ou une formule du genre. Ce n'est pas ce que nous avons choisis ici.


Pour ma part, savoir ce qu'un livre contient ne m'empêche pas de jouir de sa lecture, tout comme je peux relire un livre pour sa beauté sans ma plaindre de le connaître presque par coeur à force. 

Un livre c'est une histoire, certes, mais surtout un style, un souffle, une présence. Flaubert a montré avec brio que l'histoire n'était pas la patrie la plus importante d'un roman... 

4E SMDB

A peine commencé (une centaine de pages), je m'y ennuie déjà. Style désuet, presque enfantin. J'abandonne !