Annales du cinéma français, Les voies du silence 1895-1929

Voici le livre de cinéma le plus incroyable qu’il m’ait été donné d’avoir entre les mains : 1136 pages grand format écrites en petits caractères ! C’est ENORME. Bien plus gros que le déjà costaud Siècle du cinéma de Vincent Pinel (450 pages) et que le massif Chronique du Cinéma (950). De l’extérieur, ce livre ressemble à bloc de parpaing décoré aux couleurs de Fantômas et du Voyage dans la Lune. A l’intérieur c’est à un voyage autrement plus mouvementé et riche en péripéties que nous convie Pierre Lherminier : les 34 premières années du cinéma français. De sa naissance à ses premiers mots. Eh oui, il lui a fallu un certain temps pour apprendre à parler. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne savait pas s’exprimer, à l’aide d’images très animées et d’intertitres.


Tout est raconté avec une foultitude de détails tirés d’une documentation à côté de laquelle l’Everest fait figure de talus. Ça commence par cette fameuse querelle qui voudrait retirer la paternité du cinématographe aux frères Lumière. Il suffit d’aller faire un tour aux Etats-Unis pour y apprendre que, là-bas, on considère que le cinéma est invention de Thomas Edison. Tout juste si on évoque le nom des deux inventeurs Lyonnais. Lherminier fait calmement le point. Et, à partir de là, tout démarre.


Tout c’est-à-dire l’essor d’une attraction qui se destine d’abord aux forains et dont l’avenir parait douteux. Tout c’est l’arrivée de Georges Méliès qui transforme un amusant gadget en une forme d’art audacieuse. Tout c’est aussi les déploiements organisés par Léon Gaumont et Charles Pathé pour, chacun de leur côté, transformer cet amusement populaire en une industrie lucrative. Tout c’est aussi l’époque bénie où le cinéma français était roi aux Amériques (mais les réactions ne se firent pas attendre).


En réalité, le cinématographe fait très vite ses premiers pas et s’annonce enfant solide. N’évitant pas, dans sa croissance un peu désordonnée, les accidents. L’incendie du Bazar de la Charité (140 morts le 4 mai 1897) aurait pu sonner son glas mais il sut s’en relever et faire montre de plus de prudence.


Rapidement, le cinéma s’imposa comme une nouvelle forme de distraction très prisée du public. Avec des chiffres qui donneraient le vertige à nos actuels producteurs. Durant la fameuse Exposition Universelle de 1900, par exemple, les frères Lumière proposèrent des projections sur un écran géant de 336 mètres carrés. En 326 séances, elles attirèrent 1,4 millions de spectateurs !


Lherminier raconte notre cinéma par le menu. Il traite en détails chaque année, chaque mois, presque chaque jour pour bien mettre en valeur son évolution et les nombreuses personnalités qui l’ont aidé à grandir. Si l’ouvrage avait été rédigé par un obscur chercheur au CNRS, sa lecture en aurait fastidieuse, mais l’auteur – qui fut aussi éditeur - n’est pas un tâcheron appointé, c’est un authentique amoureux du cinoche qui sait rendre ses textes vivants. Il s’intéresse plus aux gens qu’aux techniques et cela fait de son texte une gigantesque fourmilière humaine jonchée de succès, de doutes mais aussi de nombreux échecs (le cinéorama de Raoul Grimoin-Sanson, entre autres).


L’éditeur a parfaitement raison d’affirmer, au dos du livre, « On ne peut bien connaitre le cinéma français, et le comprendre, sans connaitre l’intégralité de son histoire ». Bien entendu, on peut très bien savourer toute la subtilité comique d’un film comme Les seigneurs sans avoir jamais entendu parler de Méliès. Bien sûr, la quasi-totalité des œuvres dont parlent Lherminier sont tombées dans l’oubli ou devenues invisibles. Mais cela n’empêche pas, pour qui s’intéresse un tant soit peu au cinéma, de se passionner pour ce livre qui, finalement, est un hommage à nos glorieux aînés. On a du mal à imaginer ce que serait notre monde sans le cinéma et ses nombreuses ramifications. Leurs aventures sont presque aussi palpitantes que celles des pionniers de l’Ouest américain. Grâce soit rendue à Pierre Lherminier de nous les faire revivre à travers ce livre qui n’a d’épais que l’apparence.


Philippe Durant



Pierre Lherminier, Annales du cinéma français, Les voies du silence 1895-1929Nouveau Monde éditions, 1136 pages, décembre 2012, 89 €

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