Les Grandes Affaires judiciaires du cinéma : justice aveugle et salles obscures

Il convient de bien lire le titre. Il s’agit des affaires judiciaires du cinéma et non au cinéma. Le distinguo est d’importance. Ce ne sont pas les procès portés à l’écran mais les différends qui ont fait l’objet de procès. Enfin pas seulement car Jacques Zimmer se permet de s’aventurer dans des contrées ne se sont jamais étendues jusqu’aux prétoires. Disons, d’une manière plus générale que ce livre concerne les conflits au sein de la grande famille du septième art. Qui n’est ni une famille, ni, trop souvent, un art. Conflits nés de différends artistiques, financiers ou éthiques !


Cela commence par le « droit des auteurs »  c’est-à-dire les œuvres mutilées et les plagiats – pour se terminer avec le comportement des auteurs – certains réalisateurs ayant tendance à pousser le zèle professionnel jusqu’à s’intéresser de trop près à l’anatomie des jeunes filles.


Entre ces deux extrêmes, il y a un peu de tout. Zimmer, qui a consacré un ouvrage sur le cinéma X (chez le même éditeur), s’épanche sur le porno, ce qui permet quelques rares illustrations en couleurs. La censure occupe une place de choix, même si, encore une fois, ses actions castratrices n’ont pas toujours dégénéré en procès.


Il faut reconnaître à Jacques Zimmer une documentation en béton armé (il fut rédacteur en chef de La Revue du Cinéma et en a, probablement, conservé les archives !). Il doit avoir une salle de documentation grande comme une aérogare mexicaine. Il ressort des détails précis qui illustrent son propos à bon escient. Implacable.


Ce qui ne l’empêche pas, parfois, de se disperser, au risque de sortir de son sujet. Il parle, par exemple, des snuff movies dont on a suffisamment démontré leur supercherie (ils n’ont jamais existé en tant que tels et tous reposent, heureusement, sur d’habiles trucages) et se permet de faire un rapprochement avec les meurtres filmés par des serial-killers. Dès lors, on est totalement en dehors du cinéma plus ou moins commercial. Dans ce cas, autant intégrer tout ce que les bas de plafond filment avec leur téléphone portable et publient sur le net !


L’intérêt de l’ouvrage est d’emmener le lecteur dans les coulisses. Un endroit pas très propre où l’on risque de patauger dans la fange et d’enjamber des cadavres. Car le cinéma n’a rien d’un jardin de roses. Tous ceux qui y ont travaillé vous le confirmeront. Entres les producteurs félons, les réalisateurs incompétents, les acteurs mégalomanes, les distributeurs obtus, les exploitants avides au gain, les pouvoirs publics aux ciseaux affûtes et les associations brandissant l’anathème, on ne peut pas dire que cela ressemble à un Shangri-La. Ça se tire dans les pattes quand ce n’est pas dans la figure (il y a quelques meurtres dans le livre mais pas forcément les plus célèbres – exit O.J Simpson !).

Certains passages sont amusants : quand les juges s’érigent en critiques cinématographiques. On croit rêver ! Et Zimmer fait bien de les clouer au pilori.


Parce qu’il va là où peu osent s’aventurer, cet ouvrage est utile. Pour ramener les choses à leur juste valeur. Pour effacer les sourires béats de promotion et rétablir quelques vérités. Zimmer aurait peut-être dû aller plus à fond dans les procès eux-mêmes, ressortir des plaidoiries, des attendus, mais est-ce que cela n’aurait pas nui à la lecture ? Ce n’est pas un ouvrage de juriste (même si certains sont appelés à la rescousse) mais d’historien du cinéma. Un historien pointu et pointilleux qui ne commet pratiquement jamais d’erreur (excepté une minime confusion entre Claude Zidi et Christian Fechner).


Personnellement, j’aurais adoré qu’il développe les procès pour plagiat. Voilà un sujet dont personne n’ose jamais parlé. Dans lequel ont, pourtant, trempé quelques noms connus. Les histoires les plus célèbres sont au rendez-vous, plaçant au rang des victimes Yves Boisset et Jean-Pierre Mocky (qui n’ont pas le même talent).


Gageons que ce livre est une première étape en vue d’une encyclopédie répertoriant tous les procès qui, depuis sa création, ont secoué le landerneau du cinéma.


Philippe Durant


Jacques Zimmer, Les Grandes Affaires judiciaires du cinémaNouveau Monde, janvier 2014, 280 pages, 19,90 €


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