Ella Balaert : l’écume, la peau, la langue

Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces est une suite de nouvelles sous forme de bestiaire dompté par presque totalement une suite de narratrices qui parlent au je ou à la troisième personne. L'objectif est moins de nous embarquer dans un univers du fantastique que vers nos miasmes et pulsions. Le tout en différentes luttes entre êtres et animaux, femmes et hommes, enfants et adultes, forts et faibles.

Chaque fois, et non sans humour, l'auteure se garde bien de conclure. Une suspension finale laisse la séance ouverte là où farce et férocité se mêlent. Existe comme chez Piaf un Allez venez Milord.
Mais ici, s'il possède du chien, c'est parce qu'il possède quatre pattes ce qui n'empêchera en rien une fin commune à tous les êtres-vivants (grand-mère comprise).

Entre rêve et réalité le rôle de l'écriture est ici essentiel. Non qu'elle puisse ordonnancer le monde, lui donner consistance mais Ella Balaert grâce à lui recompose ce qui est tu ou caché. Existe donc tout un travail sur l’innommable du chaos - d'ailleurs plus choyé qu'honni - au sein  d'histoires capables d’établir des ponts entre divers apports a priori inaliénables.

Le langage est envoûtant. Par le biais de distorsions astucieuses - et parfois visuelles et drôles- il sait tromper les habitudes de notre regard et devient le magicien d'illusions nécessaires qui métamorphosent le quotidien tout en montrant avant tout ce que ce dernier cache. Chaque nouvelle est un vertige né ni du conscient ni de l'inconscient, mais d'une contrainte "viscérale" : elle remplit, à défaut de guérir ou de sauver..

Parfois la terreur nous saisit : nous voyons du poil ou des écailles partout là où les gnomes restent les hommes qui ne se contentent pas de s'enfouir sous la seule forme de loups. D'où l'urgence intime de la créatrice de les tirer non seulement par la queue mais tout membre accessible en de telles performances et (in)conduites.
 

Jean-Paul Gavard-Perret
 

Ella Balaert, Poissons rouges et autres bêtes féroces, préface de Georges-Olivier Châteaureynaud, éditions des Femmes - Antoinette Fouque,  octobre 2020, 190 p.-, 15 €

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