En attendant le roi du monde, escapade burlesque et subversive d'Olivier Maulin

Olivier Maulin signe un premier roman hybride et délirant où le Roi du Monde de Guénon aurait percuté de plein fouet le Godot de Becket au seuil de l’apocalypse. Une œuvre électrique, rebelle et paradoxalement joyeuse qui allie burlesque et subversion avec une aisance insolente ; un truc qui relève plus du détachement aristocratique que du cynisme, un pied de nez aux fonctionnaires de la provocation institutionnalisée. Un flamboyant bras d’honneur, avec le sourire.

« Cette conne m’avait transformé en immigré. »

Ana arrive à convaincre son petit ami Romain de quitter leur banlieue parisienne pour s’installer au Portugal ; pays en pleine expansion selon elle, où il est possible de faire fortune facilement. Lui n’est pas très emballé mais se contente de suivre passivement, d’ailleurs il n’est pas emballé par grand-chose en fin de compte. Après un périple en car complètement déjanté ils échouent dans une pension de Lisbonne où ils vont faire connaissance avec des personnages dignes de Kafka.

Des vies banales pour la plupart mais vécues sur un mode complètement atypique et excessif.

Autour de Lucien, à la fois chaman, royaliste et grutier, véritable phare du roman, gravitent pépé, un vieillard nostalgique de l’Angola, transfiguré lorsqu’il se met à chanter, ou encore la très canine Cécile qui se laisse parfois aller à quelques aboiements et Dulce l’icône érotique de la pension. 

Romain va sortir peu à peu de sa léthargie en s’initiant aux joies de la grue avec Lucien, mais surtout en partageant son goût immodéré pour les rois et en particulier le Roi des rois, par qui l’occident décadent renouera avec la tradition. Dans une atmosphère orgiaque, les éléments, les âmes et les corps vont se déchaîner au gré de situations à la fois loufoques et splendides.

 « - Les hédonistes sont des enculés, a-t-il dit.
- Tu crois ?
Il s’est mis à gueuler.
- Nous, on est différents ! 
[…]
- Nous on est héroïques, a dit Lucien. On est pour le rétablissement des rois
- Ouais c’est vrai.
- Partout.
- Ouais ! Lucien… Partout ! »

Le roman abonde en passages inoubliables et les dialogues y sont pour beaucoup. Maulin excelle dans l’art de la réplique, et la spontanéité du style flirte parfois avec les classiques d’Audiard. 

Si les personnages sont des pessimistes plus ou moins paumés, et que la trame du livre reste clairement la perte de repères et par conséquent la mise en exergue du vide qui peut traverser notre civilisation, la gaîté de l’instant donne le ton du roman. La gaîté de celui qui n’a plus grand-chose à perdre, certes, mais une légèreté et une fraîcheur bouleversante qui rend par ailleurs les personnages profondément attachants.

On touche ici au serio ludere rabelaisien et à l’univers de la farce traditionnelle – cet aspect du roman est d’ailleurs ouvertement revendiqué par une citation mise en exergue. Et si ce livre est essentiellement drôle de par son rapport à l’absurde, l’ironie en est le fer de lance. 

La société moderne en prend d’ailleurs pour son grade et à l’instar d’un Philippe Muray, la fête obligatoire, instrumentalisée y est dépeinte comme l’excroissance maléfique du matérialisme ambiant et de la bien-pensance. Ou comment une « pride » à Lisbonne prend des allures d’une armée d’occupation. 

Ceci n’empêche pas les personnages de se défoncer la gueule assez souvent, bien au contraire.

A la différence près que Lucien fait office d’initiateur et d’intercesseur avec le monde des esprits ; on tente tant bien que mal de redonner un sens à tout ça, de se réapproprier les mythes avec les moyens du bord. En attendant il faut bien s’occuper.

Le sexe en est le point central. Une sexualité débridée, animale, rythmée par la foudre, qui se permet beaucoup sans pourtant tomber dans le sordide, relevant d’une certaine habileté dans la mise en scène. Une tension charnelle qui ira crescendo, dans une sorte de manifestation païenne où la nature collabore aux ébats des personnages, quitte à aller très loin dans l’hystérie collective. Baiser en attendant la fin du monde et le retour du roi en somme.

« L’ennui ronge tout. La liberté s’est prostituée. C’est le règne du faux et les dieux sont silencieux »

Olivier Maulin frappe donc très fort et se permet, en plus d’être excessivement drôle, de déployer un éventail poétique assez remarquable, le final en est déstabilisant.


Arnault Destal

En attendant le roi du monde a reçu le Prix Ouest-France / Étonnants voyageurs 2006 

Olivier Maulin, En attendant le roi du monde, L'Esprit des Péninsules, janvier 2006, 272 pages, 18 euros
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