Les Lumières du ciel, road-trip d'Olivier Maulin en Fiat Panda !

Après le vertigineux Petit Monarque et Catacombes, dernier volet de son triptyque royal déjà culte, Olivier Maulin nous revient avec une satire de l’époque sous forme de road-trip en Fiat Panda où se pose la question d’une voie alternative devant les catastrophes à venir et la médiocrité du temps présent.

« Entre la vulgarité des riches et celle des pauvres, la société ne laisse décidément que peu de place à la beauté. »

L’auteur nous avait habitués à ces antihéros sélectionnés chez les passifs, les paumés, les suiveurs qui, au fil de leurs rencontres, finissaient par identifier les arnaques dans lesquelles ils s’étaient vautrés jusqu’ici ; arnaques d’une société vendue comme exemplaire et dont la fourberie majeure consiste à flinguer la notion même d’idéal avec un acharnement millimétré.

Amenés à ouvrir les yeux devant certaines évidences, en règle générale au détour d’une cuite ou d’une sauterie – souvent les deux – ceux-là franchissaient alors la ligne du politiquement correct imposé, et admis par le gros du troupeau, devenaient des irrécupérables de la république et entraient d’une manière ou d’une autre en dissidence, notamment via une réorchestration du sacré et des mythes. Des rebelles au sens noble, à des kilomètres des agités en série si prompts à enfiler la panoplie de révolté que le système leur a taillé sur mesure. Pour ce faire, des guides servaient d’intercesseurs avec le monde caché et d’initiateurs, ouvrant ainsi des perspectives de résistances spirituelles… et éthyliques.

Avec ce nouveau roman, l’auteur renoue avec la plupart des thèmes abordés dans ses livres précédents mais quitte le domaine purement initiatique pour envisager des zones concrètes de repli. Cette fois, le héros – si tant est que ce terme puisse définir ce trentenaire roublard et fauché – semble en rupture volontaire. Paul-Emile Bramont a depuis longtemps décroché avec le monde du travail. Pas le moindre embryon d’ambition chez lui. Ouvertement en marge, il survit au jour le jour grâce à diverses magouilles et se fout pas mal de l’image merdique qu’il renvoie. 

« Le paysage ressemblait à une immense bouse de vache en béton de laquelle émergeait le tombeau des rois de France. »

Après avoir refourgué des sapins « halal » sur le parking d’un Carrefour en Seine-Saint-Denis, entre autres aventures, Paul-Emile se retrouve embarqué dans un périple en direction du sud de la France. À ses côtés, son meilleur copain et sa maîtresse, un peu connasse, dévorée par l’ennui en vogue et, accessoirement, épouse d’un chirurgien esthétique passablement dégénéré. La découverte de Nice et des environs s’avère être la déconvenue du siècle pour le trio ; tout est à l’image de ce qu’ils avaient déjà vu ailleurs mais d’une façon exacerbée, caricaturale : festivisme murrayien, milliardaires répugnants, vieilles cougars siliconées et racailles balisant de crachats la Promenade des Anglais ; vision rendue d’autant plus apocalyptique au regard de la supposée douceur du cadre. 

L’état des lieux ne serait que sinistre s’ils n’avaient, entre temps, fait cette halte à Jérusalem… dans les Cévennes. Hameau retranché, peuplé d’irréductibles, de déçus, ayant déclaré la guerre au monde moderne en se regroupant autour d’un idéal de vie à l’ancienne et derrière quelques fusils. Pour faire court, ses habitants refusent en bloc la dictature du progrès et sont résolus à se battre pour qu’on leur foute la paix.

Moins une utopie hippie qu’un retour à un Moyen-âge éclairé, en réaction aux menaces avec lesquelles il sera de plus en plus difficile de composer sans abdiquer totalement et, surtout, sans vendre son âme, Jérusalem se pose comme un rempart de fortune. Ce n’est plus la nécessité de réenchanter le monde qui prime alors mais le simple fait de survivre à son agonie sans se trahir, et pourquoi pas de retrouver une certaine harmonie avec les moyens du bord.

À la manière de Maulin, tout cela s’organise évidemment sur le mode de la farce, l’ambiance est électrique, carnavalesque, l’ombre de Rabelais plane, les réparties cinglantes fusent et l’alcool coule à flot – les familiers ne seront pas dépaysés. L’auto-dérision n’est d’ailleurs jamais loin, notamment avec le personnage du Natoufien, chasseur-cueilleur de l’extrême, ayant du fond de sa grotte poussé la logique de résistance au point de boycotter l’agriculture et l’élevage : origines, selon-lui, de la décadence de l’humanité.

Malgré un pessimisme plus marqué que dans ses livres précédents, Olivier Maulin parvient une fois de plus à communiquer avec légèreté un enthousiasme littéraire rare, sans omettre de casser quelques dents au passage, et à donner vie à un microcosme de personnages baroques et attachants que l’on ne quitte pas sans regret.


Arnault Destal 

Olivier Maulin, Les Lumières du ciel, Balland, septembre 2011, 245 pages, 20 euros
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