Olivier Maulin, "Le Bocage à la nage"

Créateur iconoclaste d’un univers déglingué à l’intérieur duquel ses personnages forcent les portes d’un quotidien gris-moderne pour retrouver la démesure des carnavals médiévaux, Olivier Maulin entend, tout autant que créer des gueules à la manière d’un portraitiste en phase de delirium tremens, raconter des histoires qui d’une double voix distraient et détruisent.

 

Le bocage à la nage c’est donc l’histoire d’une révolte, quoi de plus normal dans un roman de Maulin, a fortiori si l’aventure prend place en terre normande, berceau partagé, et oublié, de la chouannerie qui ne fut pas que vendéenne ? L’histoire d’une révolte certes, mais d’une révolte sourde, comme une cuite surprise où se succèdent les verres les uns après les autres sans qu’on ait d’abord prévu de dépasser le premier. Dans les aventures de Philippe Berthelot, représentant en monte-escaliers tout droit sorti d’un livre de Houellebecq, et son ami Cro-magnon, semi clochard et ancien militaire tout droit sorti d’un livre de… Maulin, la lente décroche des navires sans amarres a remplacé l’ivresse de la rupture qu’on découvrait avec jubilation dans les précédents livres de l’auteur de Petits monarques et catacombes. Moins farouche d’apparence, Le Bocage à la nage recèle au travers de ses personnages à la dérive, rangés dans la loose comme cadavre dans son linceul, une certaine mélancolie. Pas de révolte contre le monde moderne autre que celle de rebus, pas même magnifiques, qui disent rejeter le monde quand c’est le monde déjà qui ne souhaite plus s’ennuyer de pareils branques. Pirouette pathétique d’un quart-monde retranché dans le limes d’un manoir métamorphosé château, propriété d’un excentrique sans particule auto-proclamé ci-devant, où cohabitent anarchistes nudistes, clochard psychotique et clochards tout court.

 

Le décor est posé, l’histoire est à l’avenant, mélange de Zola pour de rire et de polar absurde sur fond de Love story improbable, le tout baigné dans des litres d’alcools à la fois joyeux et glauque. Cependant aucune de ces pistes n’est clairement tranchée, toutes se mêlent et se superposent jusqu’au dernier acte qui selon la perspective des personnages est au choix : une débandade dont le peu de gloire s’avérera inversement proportionnelle à sa surprise ou bien une victoire dont les enjeux dépassent les vainqueurs qui, de toutes façons, n’ont guère compris de quoi il s’agissait vraiment… c’est là l’origine peut-être de cette mélancolie indéfinissable qui imprègne ce roman, pourtant drolatique de part en part, et lui donne un parfum inconnu des précédentes pièces du sieur Maulin, prince des poètes de son état. 

 

Il n’empêche c’est avec une joie non feinte que Maulin sabre l’époque en prenant fait et cause pour les dégénérés de toutes espèces, le perdants perpétuels voire les abominables. Car si les "chouans" de Maulin ne présagent guère d’un quelconque renouveau ils possèdent au moins le mérite de n’être pas de leur temps  ni de cette époque qu’ils vomissent, comme Saint-Exupéry, de toutes leurs forces…

 

Remi Lélian


Olivier Maulin, Le Bocage à la nage, Balland, 266 pages, 2013, 19,90 €.

 

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