Olivier Rolin : le monde est notre jardin

Il y a parmi les écrivains des aventuriers pour qui la Terre est un terrain de jeu. Olivier Rolin est l’un d’eux, et on savoure ce récit de mille anecdotes et détails sur toutes les villes visitées et tous les gens qu’il a croisés depuis plus de trente ans. Du Soudan au Canada, du Portugal à la Sibérie, tout un paysage qui se marie avec la littérature au point que l’on s’amuse à noter au fil des pages les livres dont les titres nous titillent l’appétit et que l’on s’empresse de commander à un libraire numérique…
Car pour envisager demain, il faut s’appuyer sur hier sans pour autant être un vieux réactionnaire d’opérette ; ainsi Olivier Rolin égraine-t-il avec gourmandise ses souvenirs réinventés à partir de dizaines de carnets noircis sur le terrain. Machine à remonter le temps, ce livre se dévore dans l’allégresse d’une vie décousue déroulée sous nos yeux ébahis de tant de candeur déployée dans un monde si cruel. Et la beauté est au rendez-vous, preuve que l’on peut aller partout dès lors que l’on vient en paix – expérience que je fis en juillet 1996 quand je me perdais à dessein dans le centre de Beyrouth, ville-chantier, pour débouler dans un camp tenu par la milice Amal, et photographiant ici et là sous les cris apeurés de mon épouse, chrétienne et ayant vécue l'horreur de la guerre, qui nous voyait déjà enlevés, torturés, fusillés… même si les hostilités étaient terminées depuis six ans. 

Le retour, l’avent ou l’histoire ne sont pas des monstruosités, quoique certains maniaques d’un présent frelaté ont pu l'inscrire au programme de la pensée unique ; d’ailleurs c’est Ulysse qui inventa le nostos, ce concept du retour, et Rolin qui lui emboita le pas, nostalgique de ses belles années passées à bourlinguer ici ou là. Revenir, repasser par où on a passé longtemps auparavant, c’est prendre la mesure du temps, qui est comme on le sait notre matériau à nous autres écrivains.  
Venir pour la première fois peut aussi être une forme de retour anticipé, Rolin à Moscou moi à Varsovie, lui agacé de voir les monuments remplacés par des magasins lambda aux vitrines vulgaires, moi imaginant la société soviétique dans les quartiers où subsistent encore les immeubles d’après-guerre ; tous deux dans nos parts de rêves fracassés par la réalité contemporaine. 

Tout ne serait alors que souvenirs ? Souvenirs réels et souvenirs fabriqués, souvenirs de souvenirs, où la vie que nous avons vécue se maintient en s’altérant et s’éloignant d’elle-même, jusqu’à devenir un roman… Cela tombe bien, j’en tiens un entre les mains, même si la couverture ne le précise pas : tout est vrai, tout est faux, tout est littérature. Lire pour oublier la vie, comme disait cette jeune interprète russe ; lire pour se libérer des chaînes qui nous astreignent, des diktats qui nous emprisonnent derrière nos masques…
Oui, lire, quoi faire d’autre cet été face à Delta, le variant parasite qui s’est invité.  

François Xavier 

Olivier Rolin, Extérieur monde, Folio, juin 2021, 336 p.-, 7,50 €
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