Istanbul, les souvenirs d’Orhan Pamuk

Cette édition intégrale illustrée reprend l’édition de 2007 en l’enrichissant de plus de deux cents photographies supplémentaires et s’ouvre sur une nouvelle introduction… Si Istanbul n’est pas la Turquie – à l’image de New York qui n’est pas représentative des Etats-Unis d’Amérique – il n’en demeure pas moins que cette réédition pourrait se voir comme une manœuvre visant à redorer le blason de la Turquie. Omar Pamuk, prix Nobel de littérature en 2006, publie parallèlement un nouveau roman, Cette chose étrange en moi, et l’on aurait pu en rester là.

Or les foules laborieuses possédant encore le droit de vote, et la Turquie de plus en plus engluée dans sa politique extérieure belliqueuse et l’extermination des Kurdes que personne ne semble voir, il s’avère que son adhésion à l’Europe est toujours d’actualité et qu’il faut faire oublier la dégénérescence de son système politique tyrannique.

Alors on tente de dresser un joli nuage de fumée par le biais d’une culture tenue de main de fer par les maîtres du divertissement pour tenter de montrer une Turquie modérée, mais si un islamiste modéré est un oxymore, c’est surtout et toujours un fou de l’intolérance, même si dernièrement un journaliste de The Economist a incité à soutenir les islamistes pour leur faire jouer un rôle démocratique utile (sic)…

A-t-on déjà oublié que depuis 2013 les hôtesses de l’air de Turkish Airlines n’ont plus le droit au rouge à lèvres ? Un exemple symbolique parmi cent autres qui nous prouve l’inflexible doctrine fondamentaliste qui régit ce pays arriéré qui pratique encore les crimes d’honneur ! Comment envisager une seule seconde de l’inviter dans l’UE ?

Istanbul est une ville-phare, un miroir aux alouettes où un semblant de liberté agit encore dans quelques quartiers pour montrer aux touristes une image d’Epinal, mais quand vous parlez avec les Turcs, en Cappadoce ou ailleurs, ils sont terrorisés par la police politique et les fous de Dieu : on croise les mêmes mines déconfites que jadis dans le souk de Sousse sous le régime Ben Ali. La dictature règne en maître absolue.

Ce livre démontre combien c’était mieux avant, sous l’autorité militaire et laïque qui donnait à cette ville, et à ce pays, une couleur humaine où femme et homme arrivaient à vivre dans une proche égalité. Histoire familiale foisonnante qui voit tout le clan vivre sous le même toit, dans un immeuble cossu et arriver les jours gris de la débâcle financière et sentimentale. Très vite enfermé dans un monde parallèle pour se protéger de lui-même et des autres, le petit Orhan s’imprègne du monde argentique en témoin silencieux, appareil photo à portée de main, d’une dégringolade sans fin, à l’image du pays qui vit désormais sous la coupe réglée d’un tyran.

Magistralement écrit, porté par d’émouvantes photos d’un monde disparu, cet album est aussi un pavé dans le jardin d’Erdogan pour rappeler que les hommes vivent dans le temps de leurs racines, loin d’idéaux politiques particuliers qui ne fleurissent qu’à l’acmé d’une défaite à venir. Dans l’attente d’une nouvelle Turquie démocratique et civilisée, ce roman illustré de la naissance d’un écrivain nous permettra de patienter le temps imparti…

François Xavier

Orhan Pamuk, Istanbul. Souvenirs d’une ville, édition intégrale illustrée, 190x240, broché à rabats, 430 illustrations N&B, Gallimard, août 2017, 536 p. – 35,00 euros

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