"Demain Berlin", d'Oscar Coop-Phane : Rendez-vous au Berghain

Jeune auteur - tout juste 25 ans -, Oscar Coop-Phane avait déjà été remarqué en 2011 pour son premier roman, Zénith-Hôtel, qui avait à l’époque reçu le prix de Flore. Il revient avec Demain Berlin, livre sur une jeunesse qui peine à trouver ses repères dans une société qui ne veut pas d’elle. On le sait, le plus dur pour un auteur, une fois qu’il a percé, c’est de durer. Et puis les prix font plus souvent le bonheur des professionnels de l’édition que celui d’un écrivain. Ce livre est donc l’occasion de vérifier si l’auteur a été capable de transformer l’essai.

La drogue, issue de secours

Trois jeunes, trois parcours, aux origines sociales différentes, sont mis en scène : Tobias, l’enfant violé par son oncle, balloté d’une ville à l’autre (Berlin, New York, Paris) par des parents séparés qui ne savent pas comment s’occuper de lui. Devenu adulte, il travaille dans des bistrots, touche à la drogue et touche au bonheur avec un homme rencontré dans les dark rooms d’un bar gay parisien. Mais ce bonheur ne peut durer, d’autant que son amant lui refile le SIDA, sans scrupule et presque comme une punition. Armand, jeune parisien qui rêve de devenir artiste et s’enfuit de l’appartement familial parisien avant même la majorité pour vivre une histoire d’amour avec une copine de lycée. Incapable de s’assumer, prisonnier entre le désir et la réalité, il s’enfuira, à nouveau. Franz enfin, fils d’une bonne, élevé dans la riche famille allemande pour laquelle sa mère travaillait avant de décéder subitement. Il aura accès à une éducation de qualité, mais pas à la fille des patrons qui en épousera un autre, par respect des conventions. Il quittera cette famille pour la capitale, où son boulot inintéressant dans une boite inintéressante le conduira finalement à dealer, pour gagner plus et s’occuper de cette enfant qu’il n’avait pas prévu d’avoir avec la fille d’un pasteur. Il plongera : prison.

Ces trois-là vont se rencontrer, par hasard, dans le Berlin de la drogue : les boites de nuits qui ouvrent le vendredi pour fermer le lundi, où l’on danse, où l’on se défonce au GHB, à la kétamine ou à l’ecstasy et où l’on baise dans des chiottes dégueulasses - mais qu’importe, puisqu’on se shoote et qu’on danse. Bienvenue dans le quotidien des Druffis, les toxicos berlinois. Tobias traîne sa séropositivité, Franz le poids de la prison et Armand son vague à l’âme d’artiste qui croit toujours que Berlin, ou ce quotidien dont il a besoin, n’est qu’une phase. Et quand on voit la manière dont il plonge dans les excès au Berghain ou au Golden Gate, on a du mal à croire qu’il s’agit d’une simple phase.

Vers la lumière

Glauque, parfois dérangeant, roman de la recherche - personnelle, artistique, amoureuse, existentielle -, descente aux enfers dans un monde de la nuit séduisant en surface et dégoûtant dès qu’on en gratte un peu le vernis, le livre d’Oscar Coop-Phane ne cesse de jouer avec les tripes du lecteur. Jusqu’au bout, on ne sait jusqu’où iront les héros - ou plutôt ces anti-héros -, comment ils choisiront de s’en sortir ou pas. L’auteur a beaucoup mis dans ses personnages : du désespoir, de la perte de repères, une quête de réponses. Il aborde aussi la question de l’obligation au bonheur, à laquelle nous sommes aujourd’hui tous astreints par une société qui, si elle donne des modèles, ne fournit pour autant ni l’itinéraire ni les moyens pour l’atteindre.

Reste Paris, dans laquelle l’action se déroule pendant la première partie du roman. Puis Berlin. Et malgré les relents de vomis, de caniveau, de pauvreté, d’hiver sans fin, on sent un amour sans pareil de la part de l’auteur pour ces deux villes. Oscar Coop-Phane est franco-allemand et vit à Paris. Il a choisi le français comme langue d’écriture. Nul doute pour autant que le Berlinois dort en lui, d’un sommeil très léger que la moindre évocation d’Alexanderplatz ou de Kastanienallee suffit à réveiller. Berlin est belle sous sa plume, même la nuit, royaume interlope de la descente aux enfers, même l’hiver, interminable et glacial. Car enfin quand on sort de l’U-Bahn, on remonte à la surface, vers la lumière. Un style sobre, discret, qui observe sans espionner, qui donne à voir sans juger. Et ces « on » et ces « nous », qui parsèment le récit, invitent le lecteur à assister à ce théâtre de la vie ratée muni d’un ticket de première classe. Alors la vision méritera encore d’être affinée, le style d’être dégrossi, mais l’écriture de Coop-Phane interpelle déjà.

Rares sont les livres qui donnent au lecteur l’opportunité, véritablement à la dernière page, de décider de les apprécier ou non. Demain Berlin en est un.


Glen Carrig

Oscar Coop-Phane, Demain Berlin, 177 pages, Finitude, janvier 2013, 16€

3 commentaires

dans le même genre, lire la Politesse du Desespoir de Maxime Sbaihi. Un roman magnifique qui raconte l'histoire d'un jeune homme trouvant refuge a Berlin pour oublier tout ce que sa generation doit endurer. Les pages racontant le Berghain, le KdR, le Dr Pong, le Wilde Renate et d'autres clubs sont un vrai régal avec en arrière fond un dessin de Berlin, son histoire, son attirance mais aussi sa mort annoncée...

 

http://www.edilivre.com/la-politesse-du-desespoir-1c2e045a77.html

merci de votre critique, l'auteur est en effet un talent prometteur, mais comme les légendes vont plus vite que les corrections
Oscar Coop-phane n'est pas du tout franco-allemand mais d'origine  britannique.  Père anglais et journaliste, mère française et phislosophe; c'est à Berlin qu'il a écrit , à 20 ans, Zénith-Hotel, son premier roman, qui a obtenu le prix de Flore, en 2012. C'est de retour à paris, où il vit, qu'il a écrit Demain Berlin. il est né le 15 décembre 1988; il vient donc d'avoir 24 ans

Merci de vos corrections, cher Cocorico. Il faudra que je vérifie où j'avais collecté les miennes pour éviter que cela ne se reproduise.