Mandelstam & la tentation d’Arménie 

Ossip Mandelstam avait une attirance, une passion dévorante pour l’Arménie, sorte de Grèce aux mille dieux, peuplée de mille églises pour un seul Dieu. Est-ce la mainmise soviétique sur l’interdit religieux qui attire le poète condamné au silence, persécuté par le régime ? Est-ce sa soif de liberté, de grands espaces, lui trop souvent enfermé dans sa chambre ? Est-ce la quête des racines d’une culture plusieurs fois millénaire ? Sans doute un mélange des trois, une mosaïque qui l’attire et à travers laquelle, tel un kaléidoscope, il va tisser ses liens comme d’autres leur toile.  

Ses articles cachent bien plus qu’une photographie d’un lieu ou le témoignage des vies croisées, ce sont les épreuves d’un journal intime caché dans un reportage, un amour absolu de l’humanité qu’il croit perdue et rêve de voir renaître. Ainsi croit-il possible de montrer au monde qu’une palingénésie eut déjà lieu (le mythe de Noé) et qu’elle devra derechef nettoyer le monde pour que renaisse un Homme nouveau… 
Ce sera donc ici, sur les hauts plateaux arméniens que le poète reprendra la plume, chassera l’amertume qui lui mange le ventre pour revenir à l’origine de tout, des langues, des croyances, de l’histoire des êtres vivants… et oublier l’oppression soviétique. 

Renoncer de plein gré à la lucide absurdité de la volonté et de la raison. 

Il n’y a pas de fil rouge narratif, les sujets s’enchaînent – et l’étude des brouillons explique cela – car la nature n’étant que ruptures et discontinuité, la prose en mime le mouvement. Et seule compte la matière verbale, la musique de l’âme poétique pour conserver ce que les mots véhiculent de plus concret. Il invente une nouvelle nomination du monde, cette interprétation centripète du vivant dans une atmosphère devenue plus sereine. 
C’est donc à un voyage de mots, un périple parmi les formes grammaticales, les citations : son livre démontre que le regard est un instrument de la pensée, que la lumière est une force et l’ornement une réflexion. 
Mandelstam incitait à agir ceux qui pensaient et sentaient autrement que lui ; c’est seulement ainsi qu’il concevait l’existence possible d’un monde apaisé… 

L’intérêt de cette édition, réside dans les ajouts en fin de volume, telle que cette Seconde naissance qui introduit d’autres textes de Mandelstam consacrés à ce pays mythique ; ainsi que les brouillons du manuscrit original qui permettent de découvrir les constructions des principaux sujets évoqués. 

 

Rodolphe 

 

Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie, traduit du russe et préfacé par Jean-Claude Schneider, postface de Serena Vitale, Le Bruit du temps, avril 2021, 144 p.-, 9 € 

Aucun commentaire pour ce contenu.