Prigent poursuit ici l'épopée Chino. Une nouvelle fois son approche multiplie ce qui est essentiel dans l’œuvre : à savoir l'intrication – figure qui fait foisonner, proliférer les figures, écrit l'auteur.

Ici, le jardin qui par essence cerne le ou des espaces, devient le lieu dont chaque loque interloque. L'auteur les fait jaillir de la mémoire dans des remontages où l'histoire de Chino est mêlée  en divers temps  à l'Histoire : guerres de14-18 et d'Algérie par exemple.

Ce qui suppose la mise en scène du leurre de l'espace temps . D'autant écrit l'auteur  qu'Il n'y a sans doute pas de littérature sans cette naïveté.  C'est à ce retournement auquel procède tous les grands auteurs comiques de Rabelais à Kafka, de Shakespeare à Beckett, de Novarina à Prigent.

Par la bande cet important corpus rappelle l’objectif premier de Prigent trouver le hors sens musical venant malaxer, engorger, gêner la fluidité facile et déréalisée du sens. Sa fiction est un engagement du corps vivant (physique, pulsionnel) dans l'écriture afin de tenter une autre manière de cerner le réel pour le lire.

Le pétomane (comme il se nomme) lutte contre l'asphyxie de la langue que l'usage communautaire pollue. Le jardin permet de mêler la fiction et des approches analytiques. 
Avec cette nouvelle étape dans la vie de son double, Prigent engage une course de vitesse contre la fermeture stabilisée du monde. Il crée à la fois un corpus étrangement mélancolique et une vive sensation de l'incapacité des langues apprises et des formes répertoriées à donner l'expérience qu'on se fait du réel et de la vie. 

Chino et ses sbires rappellent combien le fond de l’être peut effrayer tant écrit Prigent il est tissé de barbarie, ouvert à perte-pied sur la rumeur de l'inconscient, pulvérisé par la débâcle des corps et des choses dans le temps et l'atomisation de la matière dont ici le jardin devient le prolégomène.

Jean-Paul Gavard-Perret

Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L éditeur, mai 2021, 352 p.-, 21 euros