Aurélie-Ondine Menninger : La réponse à l'ange

Traductrice dans la langue de Pablo Neruda, Aurélie-Ondine Menninger publie un recueil de poèmes bilingue – histoire d’arpenter en toute liberté un territoire intérieur soustrait à toute géopolitique. Ou  de s’enraciner dans une géopoétique sans visas, étrangère à tout exil... Une poésie d’éveil et d’envol, tout à la fois brûlante et douce, qui déchire le voile et salue l’avenir d’un délicat ruban de musique… 

 

« Il doit toujours y avoir énigme en poésie » disait Mallarmé. La langue de feu de la poésie, la vraie, allume la lampe du jour, écarte les rideaux et fait danser le paysage sous nos pas chavirés. Celle d’Aurélie-Ondine Menninger danse nos incertitudes et le murmure de source de nos origines en réaccordant ce qui se désunit tellement dans notre illusion de réalité. Elle remonte, dans sa ténuité, le courant de nos survies assistées pour interpeller cette énigme-là jusqu’au fond de cette part d’humanité qui s’épuiserait de devoir faire corps avec ce que l’on est présumé être ( ?) dans le cours de plus en plus incertain de notre histoire commune : « Comme cela me coûte/De vivre »…

« La blessure/est poésie »…Mais vivre en poésie, c’est s’offrir le vertige de se délier de toutes illusions, de celles où l’on laisserait la vie quand elles nous font rater un instant de vérité… Affirmer une présence poétique au monde, c’est s’affranchir,  s’alléger et « désécrire » la « nuit montée sur les épaules » pour s’offrir d’autres mots de passe et reconquérir des espaces de gravité vers les sommets…

 

Coupez-moi l’âme  en

Deux ailes égales

Coupez-la moi !

 

Il n’y a pas d’écriture sans affrontement de son « objet », lancé contre le mur de nos renoncements, de nos difficultés à être - ou de ce que l’on s’interdirait d’être : 

 

La vie est cette journée

Une journée à quatre murs

Et je frappe au mur de la nuit

Je frappe au mur du jour

Entre les deux : éternité immobile

Le mur contre mes deux mains qui avance

Et moi-même entrée dans la pierre sans issue

 

Il n’y a pas de poésie sans cette pulsation de résistance à ce qui fait mur ou mirage et nous dérobe la pleine grâce du jour, le sourire de l’eau ou le vrai toucher des choses... La poésie d’Aurélie-Ondine Menninger mord la pierre, mord dans l’inertie, bouscule cet « ordre des choses » établi sur notre perdition – sur moins que rien… – pour remonter son puits de lumière vers ce qui constitue un être en son territoire d’envol : 

 

Il avait le corps d’une montagne

Et à sa cime un ciel d’azur pour se reposer

J’étais petite et dessinée par un crayon mal taillé


- Nous sommes très différents – lui dis-je

- Pas tant-m’a-t-il répondu


j’ai senti battre le cœur de

la petite pierre conservée d’une vieille ascension

ou était-ce le vol d’un papillon au

froissement d’ailes lapis-lazui…

 

Intitulé C’était la nuit, cette nuit désécrite sur la prose démonétisée de nos « éléments de langage » et de nos échanges déshabités, le recueil d’Aurélie-Ondine Menninger sème à profusion ses éclats d’astres – ses douleurs d’astres tombés, aussi, dont elle retient le feu et restitue le brasillement… Elle prend appui, dans son ressac d’onde pensive, sur ce réel qui bat sa propre mesure du vivant – quelque chose comme la respiration d’une petite fille lointaine faite sienne ou d’un ange à l’écoute de nos béances et failles :

 

comment cette angoisse

qui ouvre sa faille à midi

à l’heure de la question à l’ange

où je demande si continuer

ne semble pour tous qu’une

anecdote, un silence anodin

que le pain de chaque jour

la collection de mies

rassemblées du Petit Poucet

nourrit ou colmate

 

Née de l’âpre devoir de faire corps avec le vrai Soi, la poésie d’Aurélie-Ondine Menninger est une poésie d’envol vers ce ciel qui nous presse de trouver notre langue et notre vérité à chaque pas qui s’effacerait avec notre ombre :

 

Suis-je née ? vraiment ?

Chaque pas s’efface avec mon ombre

 

Et la mort ?

Un mirage que la chair maintient en cage

Jusqu’à ce que la question s’épuise

 

Par son toucher d’encre de plume et d’âme, elle est, en son potentiel angélique, avant tout poésie d’éveil, habitée par un insatiable désir d’une vie plus vive plus libre – une mise au monde de la parole poétique qui ranime comme un tremblement de réponse à la question : « comment allons-nous ? » ou : « que faire de nous ? ».

Mouvement impérieux de l’âme et pleine présence du corps dansant, elle est poésie d’urgence arrachée à l’anesthésie commune et à l’émiettement quotidien, traçant sa piste d’envol au cœur de la langue et de notre humanité, sur la buée de nos miroirs voilés – la flamme dansante allumée contre le néant, ce goût d’arc-en-ciel qui ne nous quitte plus… Afin que plus jamais un pas sur terre ne soit perdu…


Michel Loetscher

 

Aurélie-Ondine Menninger, Era la noche… ! C’était la nuit…, editorial lisboa, 68 p.

Aucun commentaire pour ce contenu.