Tout Dalle, "Que Dalle"

Baby Dalle

 

"La provoc’ pour la provoc’, c’est du conformisme", répète Béatrice Dalle. C’est la raison pour laquelle on trouvera moins dans Que Dalle l’expression d’une provocation que celle d’une vocation.

 

"Ce livre ne sert à rien." Oui, si l’on en croit l’intéressée — en l’occurrence bien peu intéressée —, il faut prendre au pied de la lettre un titre qu’on pensait n’être qu’un jeu de mots. Dans Que Dalle, il n’y a rien. Inutile de poursuivre l’interrogatoire : "Arrête de me parler de ce bouquin ! Il n’y a que des conneries dans ce bouquin."

 

Pourtant, sur la couverture, tout est fait pour nous faire croire que Béatrice Dalle est l’auteur, ou tout au moins la "co-auteur" de cette auto(?)biographie. Alors, elle s’explique. Elle n’a pas tant contribué à écrire ce livre qu’à le désécrire, imposant une censure de tous les instants et de toutes les lignes au scribe qui était officiellement là pour lui tenir la main. "On me dit qu’il m’est arrivé des choses extraordinaires, et c’est vrai, il m’est arrivé des choses extraordinaires. Beaucoup. Mais ce qui était intéressant, c’était de les vivre. Les raconter, à quoi bon ? Les partager avec d’autres, je ne vois pas, personnellement, ce que cela pourrait m’apporter. Et il n’y a aucun mépris à l’égard de qui que ce soit dans ce que je dis là."

 

Que Dalle est donc moins une biographie ou une autobiographie ou une autobiographie ghostwritée que les réflexions d’un journaliste, Pascal Louvrier, sur l’impossibilité d’écrire la vie de Béatrice Dalle. C’est amusant au début, mais assez vite agaçant, pour ne pas dire assommant, car souvent le récit s’enlise. Par exemple, on ne voit pas très bien l’intérêt que Louvrier trouve à préciser quel plat la réalisatrice Claire Denis a choisi (et quel temps il faisait ce jour-là) lorsqu’il l’a rencontrée pour la faire parler de son interprète.

 

Mais toutes ces informations hors sujet, tout ce décousu postmoderne finit par avoir son charme, dans la mesure où il fait écho à l’étrange enchevêtrement du hasard et du destin qui fait que, trente ans après 37°2 le matin, la filmographie de Béa — qui occupe les seules pages du livre qui, selon elle, méritent d’être retenues — constitue un ensemble redoutablement cohérent, signe d’une véritable carrière, étant entendu que celle-ci s’est bien plus construite sous la bannière du cinéma d’Art et essai que sous celle du cinéma "grand public".

 

Dalle est arrivée au cinéma tout à fait fortuitement. Elle n’a pas choisi de tourner dans 37°2. Elle n’a, pas une seule seconde, été rebutée ou impressionnée par le fait qu’elle allait devoir porter ce film sur ses seules épaules, ou presque. Le choix était déjà fait : "C’était ça ou continuer à voler dans les magasins." Elle ne connaissait rien au cinéma. Elle ne lisait pas les génériques. Quand on lui a dit que Jean-Jacques Beineix avait tourné auparavant la Lune dans le caniveau, elle a cru qu’on lui parlait des Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer. Mais quelque chose en elle la faisait aspirer au cinéma, même si elle ne savait pas encore le nommer : la Dalle ne supporte pas les contraintes de la réalité. Si pour Proust, la vraie vie, c’est la littérature, pour elle la vie commence quand elle est sur un plateau. D’où, inversement, son désarroi lorsqu’un jour un membre de l’équipe, qui venait de se faire au doigt un petit bobo de rien du tout, osa briser ce charme en déclarant : "Je vais à la pharmacie." A la pharmacie ? Insupportable mention de l’insupportable existence quotidienne.  "Je n’aime pas faire la queue pour acheter des timbres." Truffaut disait à peu près la même chose quand il expliquait que le miracle du cinéma, c’est que les personnages trouvent toujours immédiatement, juste devant la porte, une place pour garer leur voiture.

 

Béatitude de Béatrice : "J’ai dit 'Merci mon Dieu' quand j’ai découvert le cinéma, et je n’arrêterai pas de redire 'Merci mon Dieu' jusqu’à mon dernier jour. Je pourrais faire du cinéma tout le temps même s’il n’y avait pas de résultat, même s’il n’y avait pas de film. Ce qui m’intéresse, à vrai dire, c’est l’aventure humaine de toute une équipe pendant la durée d’un tournage."

 

Elle refuse d’appliquer à son travail les mots personnage et jouer. "Je ne suis pas un personnage. Je n’aime pas le verbe jouer, car je ne suis pas une petite fille qu’on déguise en fermière ou en princesse." Et elle ne lit même pas les scénarios des films dans lesquels elle (ne) joue (pas). "Ce n’est pas un truc de fainéantise. C’est un hommage au metteur en scène." Elle n’est que le soldat dévoué de celui-ci. "Ce n’est pas le sujet d’un tableau qui fait le tableau, c’est l’âme du peintre qu’on sent derrière la toile. Au cinéma, c’est la même chose. Accatone est peuplé de personnages aussi peu reluisants, aussi médiocres les uns que les autres, mais qu’on aime quand même, parce qu’on sent derrière eux, à travers eux, l’âme du metteur en scène. Sans doute y a-t-il aussi des films ratés dans la filmographie des grands réalisateurs, mais je suis prête à tourner dans une pub pour une marque de jambon si elle est réalisée par Pasolini."

 

Bref, on aura compris que l’univers de fiction du cinéma ne retient Béatrice Dalle que lorsqu’il est porteur d’une certaine vérité. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas envisagé une seconde de faire ce qu’il est convenu d’appeler "une carrière internationale" : "Je trouve que même les comédiens les plus doués sont rarement convaincants quand ils jouent dans une langue étrangère. Depardieu est merveilleux quand il tourne en anglais en gardant son accent français. Mais rien ne va plus dès qu’on essaie de lui faire perdre son accent, parce qu’il reste toujours un petit quelque chose. J’ai tourné avec Jim Jarmusch et Abel Ferrara parce qu’ils m’ont fait parler en français dans leurs films. Mais quand Ferrara m’a demandé de prononcer trois mots en anglais — trois mots seulement —, ç’a été pour moi un cauchemar."

 

FAL

 

Pascal LOUVRIER & Béatrice DALLE, Que Dalle, Sonatine Éditions, juin 2013, 18,00€

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