«Tiré à quatre épingles» : une élégante invitation littéraire de la part de Pascal Marmet
Abandonnant pour un interlude de
presque trois cent pages le monde des saveurs olfactives («Le roman du parfum», Éd. du Rocher, 2012)
et gustatives («Le roman du café», Éd. du Rocher, 2014), Pascal Marmet nous propose avec «Tiré à quatre
épingles» un thriller qui plonge ses racines dans l’univers mystérieux de l’art
primitif, de la sorcellerie et du trafic d’objets d’art envoûtés et envoûtants. La pirouette
sémantique proposée dans le titre nous renvoie plutôt vers les rituels vaudou
que vers l’univers de la couture.
Et pour que le suspens soit entièrement
garanti, l’auteur fait appel à une panoplie d’objets à forte portée symbolique
et à une affiche sur mesure permettant à des personnages surprenants de croiser
d'une manière douloureuse et définitive leurs destins.
En voici la liste (non-exhaustive), selon l’inventaire dressé par le commandant François Chanel qui mène l’enquête : «un ex-préfet collectionneur, une épouse aussi belle que vénale, un expert homosexuel affairiste en art primitif, un sculpteur copiste et des fétiches auxquels on prêtait un pouvoir démoniaque». Rajoutons à ceux-là la gallérie de personnages pommés dont l’auteur raffole, comme le couple de cambrioleurs composé de Sammy et Laurent ou Salomé qui renferme à elle seule «tout un univers timbré noyé dans un romanesque odieusement sentimental» ou, encore, celui du dangereux criminel philosophe, Alain Threrky, «un enfant gâté» devenu «un adulte tyran, sans compassion, sans remords, sans culpabilité».
Tout ce monde fait l’objet d’une attention
particulière de la part de l’équipe du commandant François Chanel, le groupe «Cha»
de la brigade Criminelle du 36 Quai des Orfèvres. Homme respecté pour ses
résultats, pour «son incroyable puissance d’analyse» et pour son expérience, ce
« déjà-vu », comme il aime l’appeler avec fierté, François Chanel est
aussi un homme direct qui aime «appuyer froidement là où cela faisait très mal :
la vérité toute nue».
Son équipe se met en alerte suite
au cambriolage et au meurtre par balle d’Albane, la femme d’un ancien préfet
sous la présidence de Jacques Chirac, au numéro 2, de l’impasse de Conti. L’enquête
s’annonce complexe et compliquée, surtout que feu son mari, le préfet Saint Germain
de Rey, avait été assassiné de la même façon et, détail saisissant, avec la
même arme, selon les premiers éléments de l’enquête.
La présence sur les lieux de deux
cambrioleurs du dimanche et d’une série d’éléments conduisant vers l’hypothèse
de l’acte criminel crapuleux ne bouleverse qu’à moitié la conviction du
commandant Chanel et de son équipe pour qui Albane avait plutôt le profil d'une criminelle, ayant assassiné froidement ou commandité le meurtre de son mari. Il faut dire que cette femme est à son troisième mariage
et qu’à chaque fois ses feu maris ont fini par des morts violentes et bizarres. Maintenant, il fallait tout recommencer à zéro et diriger l'enquête vers d'autres complicités et d'autres mobiles.
Justement, dans cette nouvelle lumière, le mobile de l’assassinat d’Albane semble de plus en plus évident : il s’agit de la passion du couple pour les arts
primitifs africains et de la présence dans leur collection d’exemplaires rares
à forte valeur symbolique et magique. La passion et les connaissances qu’avait Saint
Germain de Rey dans ce domaine réservé aux spécialistes est un indice de taille.
Pour le commandant Chanel, «le préfet devait être un de ces esthètes savants, mi-naturaliste pédagogue mi-aventurier grand voyageur». Il est convaincu que «tout
cela sentait la rareté, la pièce unique, insolite et précieuse», à tel point qu’il
le soupçonne de ce qu’il nomme par la curieuse formule de «pulsions surréalistes
pas comme les autres».
L’arrivée brutale d’un événement aussi tragique que les crimes précédents complique bien les choses : il s’agit de l’assassinat d’Armand Nodul, expert en arts primitifs et ami de la famille des Saint Germain de Rey. Il est, lui-aussi, assassiné par balle, et de surcroît, avec la même arme. Une fois le mobile du vol écarté, pour le juge Pamiès et pour l’équipe de Chanel, il est de plus en plus évident que la vérité se trouve dans le passé de la victime, surtout dans les relations qu’il entretenait avec la famille de l’ancien préfet. Une longue enquête va commencer.
Occasion pour l’auteur de nous
dévoiler les secrets du 36, Quai des Orfèvres, le travail acharné des policiers pour résoudre
les affaires criminelles les plus inattendues, les difficultés du personnel, obligé
très souvent à travailler en sous-effectif, mais toujours sous pression et en
urgence et sans compter les heures. Ils sont tous des hommes et de femmes
singuliers, soumis à une pression sans relâche.
Le commandant François Chanel ne
fait pas exception de la règle. C’est «un célibataire, un fils unique, un
chercheur de vérité, un inclassable, un sans enfants, sans amis, sans parents,
sans attache, un ‘sans’». À ses côtés,
le capitaine Devaux, «moniteur de tir de 38 ans, médaillé d’honneur de la Police
nationale» et main droite de Chanel, fait un travail remarquable, très utile à
toute l’équipe. Appelées en renfort, Laurie et Lucie, deux brillantes stagiaires,
vont se montrer d’une grande utilité, surtout pendant toute cette période de
congés et de pénurie de personnel. Il y a ensuite tout le travail spécialisé de
la police scientifique, très utile dans l’interprétation et l’exploitation des
preuves.
Il faut dire qu’en face se trouve des gens très dangereux, de vrais criminels bien décidés d’en découdre avec leurs adversaires quitte à marcher avec désinvolture sur leurs cadavres. Albane en fait partie. «Devenue une femme condamnée à l’impureté par la force de la malchance d’être mal née», elle suit un parcours parsemé d’innombrables embûches qu’une vie dure la fait endurer. Son père alcoolique est condamné pour vol et violences conjugales, sa mère, «une femme terrorisée et devenue indifférente à ces trois enfants pour échapper à un mari barbare» disparaît. En fugue dès l’âge de 15 ans, Albane va rester toute sa vie «une éternelle Lolita», portant «l’étincelle d’une séductrice rompue à la manœuvres des mâles», même si son sourire «portait la beauté comme une malédiction».
C’est autour de ce destin brisé, au parcours déraillé vers des lignes pas trop catholiques, parsemés de séduction et d’intérêts matériels et qui finit par plonger dans les soubresauts du crime et des intrigues les plus cruelles que Pascal Marmet va construire son intrigue. L’histoire est d’autant plus passionnante qu’elle touche le domaine secret des arts primitifs, allant jusqu’à soupçonner l’existence d’un mobile plus secret, comme celui «d’un éventuel crime rituel».
Pas étonnant que la lecture reste très passionnante tout au long du récit et que le suspens dure jusqu’à la résolution inattendue de l’affaire. En cela, l’auteur reste fidèle à son credo littéraire par le biais duquel il réussit à tisser, sur fond de curiosité naturelle autour des sujets de grand intérêt, des récits mettant en mouvement toute une catégorie de personnages dont les aventures illustrent bien le thème choisi.
Cela n’enlève en rien ses qualités de narrateur ni celles de chef d’orchestre qui réussit à faire jouer des personnages et des voix si divers. On sait que pour cela il faut une grande connaissance des qualités et défauts d’une humanité toujours en quête de sens, surtout lorsque l’existence n’hésite pas à laisser certaines blessures, souvent assez graves, voire irréparables.
Pascal Marmet nous offre ici une
preuve convaincante de son talent qui se nourrit constamment avec délectation aux
sources inépuisables et riches d’une curiosité qui cherche sans cesse dans l’expression
littéraire sa tournure la plus réussie.
Ce polar plein de retournements, de
situations inattendues, de mystères et de sorcellerie, en est la preuve pour la
grande joie des lecteurs passionnés de suspens et avides d’apprendre des choses
nouvelles, en conjuguant plaisir, curiosité et passion pour la bonne
littérature.
Raisons suffisantes pour se laisser tirer à quatre épingles par cette élégante invitation littéraire !
Dan Burcea
Pascal Marmet, Tiré à quatre épingles, Éditions Michalon, 2015, 270 p., 18 euros.
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