Louis-Michel de Vaulchier et la « restance » : visitation vocale du poème
La
lecture devient une réappropriation inventive de l’écriture. La verbalisation sort
le poème de son écriture de l’aplat
et en révèle quelque chose qui n’est ni imité ou mimé. Elle innerve la question
du statut l’écriture en l’ouvrant à une sidération
particulière de celui qui, lisant le poème, fait face à sa soudaine étrangeté dans la matière des mots,
dans ce qu’ils sont à la limite d’eux-mêmes. La voix offre l’approche d’une « visibilité »
par l’opération d’un filtrage particulier, d’une passe croisée où l’intensité innommable de la matière trouve
un contour nommable. Le champ qu’ouvre alors la lecture, dans le jeu de la proximité et du lointain
fait revenir d’emblée la question d’une modalité d’un dire différente de la modalité d’un écrire. La poésie (et même la plus haute –
celle d’un Celan prise par de Vaulchier
pour sa démonstration) se détache
du fond de sa juridiction. La parole
crée un chiasme car quelque chose en elle travaille à un interstice où se coude et se vertèbre en lignes serpentines
où le non savoir du lecteur se tresse à
tous les tissus des héritages qui forment l’histoire de la poésie.
Dire
le poème c’est donc à la fois disjoindre et rendre à la formation ce qui a été
formé. Ce n’est jamais écouter une réponse, c’est au contraire reformer une
question, rejouer un dispositif de doute et d’aventure. On peut donc nommer
« restance » la lecture du poème
soudain envahi d’un immense cube d’air
frais, dans le vertige de la proximité
et le plus intime raccourci. Dans cette
visitation tout va du bas vers le haut : le sacré de l’écriture
ne descend pas, il monte. Et durant cette montée, l’élan abolit parfois la
différence entre l’intime et l’impersonnel : l’espace du poème est soudain
infini.
Jean-Paul
Gavard-Perret
Louis-Michel Vaulchier, « Lecture
sur le pas » coll. Trait court, Passage d’encres, Moulin de Guern, Guern,
5 €, 2014.
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