Interview. Une promesse : Leconte adapte Zweig

UNE PROMESSE : paroles, paroles…

 

Patrice Leconte avait juré ses grands dieux qu’on ne l’y reprendrait plus. Fini le cinéma pour lui. A la limite, un dessin animé, comme il l’a fait pour Le Magasin des Suicides qui n’a pas rencontré le succès escompté.


« Ce qui m’a manqué dans ce film, avoue Leconte, c’est le contact avec les comédiens, que j’adore. Et puis, à l’arrivée, le film avait le cul entre deux chaises. Il pouvait emballer des enfants de huit à douze ans mais leurs parents n’avaient aucune envie de les entraîner voir un film parlant de suicide ! Il va falloir attendre encore quelques années pour que son budget soit totalement remboursé. »


Le voici, donc, de retour. Avec une promesse, la sienne :


« Promis, je ne dirais plus jamais que j’arrête le cinéma ! D’abord parce que ça n’intéresse personne, ensuite parce que j’en ai trop besoin. J’avais le sentiment de m’être un peu perdu dans certains films mais maintenant j’ai la certitude d’avoir retrouvé le plaisir du cinéma. Je ne vais pas m’arrêter là. »


Pour son « retour » Leconte fait Une promesse. Celle de Stefan Zweig. Grand auteur, souvent transposé à l’écran mais pas toujours avec l’éclat que méritent ses écrits. La dernière tentative française remonte à une dizaine d’années avec Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Laurent Bouhnik.


Leconte aime la difficulté : adapter un auteur autrichien, situer son propos en Allemagne et tourner dans la langue de Shakespeare dans une production française !


« Par respect pour Zweig, j’ai d’abord envisagé de tourner en allemand et en Allemagne. Mais c’était absurde parce que je ne comprends pas un mot d’allemand ! La production m’a suggéré l’Angleterre et c’était la seule solution possible. En plus cela me donnait l’occasion de travailler avec des acteurs anglais que j’admire tant. J’ai toujours envié les réalisateurs anglais car ils ont la chance de travailler dans une langue précise sans être précieuse avec son charme et sa musique. Et puis les acteurs anglais ont une qualité de silences et de regards étonnante. Cela ne veut pas dire que je dénigre les acteurs français, j’ai eu la chance de travailler avec les meilleurs, mais les Anglais font le même métier avec une meilleure intelligence du rôle et plus d’implication. Ce qui m’a enchanté durant les deux mois de tournage. »


Hormis ces digressions, Leconte est resté fidèle à Zweig.


« L’histoire est très ancrée dans une réalité historique et géographique. La Première Guerre Mondiale est un élément dramatique essentiel par le fait qu’elle prolonge la séparation entre les deux êtres, qui passe de deux ans à six ans. Cela m’a d’ailleurs fourni une très belle scène où l’on comprend que Lotte ne se préoccupe absolument pas du sort de son pays. »


Voici Le Voyage dans le passé devenu Une promesse. L’histoire d’un amour impossible. Un brillant jeune homme, Karl, est engagé par un riche industriel. Il tombe vite sous le charme de sa jeune épouse, Lotte. Ils passent de plus en plus de temps ensemble mais refusent de s’avouer leur amour. Quand ils franchissent le pas, il est trop tard : Karl est envoyé pour une mission de deux ans au Mexique.


« Zweig est quelqu’un de très pessimiste, précise Leconte, Il a une réponse négative à l’amour. Personnellement, je crois que l’amour peut résister à l’usure du temps. J’ai voulu laisser deux graines d’espoir. A leur époque, l’amour entre ces deux êtres était totalement impensable. C’est pour cela qu’ils se promettent pour plus tard quelque chose qui me touche beaucoup. C’est très romantique. Ceci dit, si vous me demandez ce qu’ils vont devenir après la fin du film, je n’en ai aucune idée. C’est une question que l’on ne se pose jamais. Je me souviens que le premier à me l’avoir posée c’est Jean Rochefort à la fin du Mari de la coiffeuse ; « Qu’est-ce qu’il va devenir Antoine ? » Sa question m’avait cueilli. J’étais incapable d’y répondre. »


Patrice Leconte convient que le piège de ce genre de films est de se laisser aller à une certaine indolence, se contenter de faire de belles images.


« Il ne faut pas se laisser charmer par les costumes. Déjà quand je faisais Ridicule, chaque matin en arrivant sur le tournage, je me disais « Je ne fais pas un film d’époque ! » Je ne voulais pas me laisser détourner par les jolies robes, je devais me concentrer sur l’émotion et sur l’humain. D’ailleurs, la mode des femmes en Allemagne avant la guerre était très fermée, on ne voyait pas un bout de peau. Heureusement, la costumière a pris quelques jolies libertés. »


Une promesse repose aussi sur un solide trio. Tandis que le brillant Alan Rickman apporte tout son poids dans le rôle de l’industriel miné à la fois par la maladie et par l’amour qu’il porte à sa femme, Rebecca Hall et Richard Madden jouent avec finesse les amoureux discrets.


« Pour la première fois, je me suis fait aider par une directrice de casting, avoue Leconte. Rebecca Hall fut mon premier choix. Je connaissais son travail et quand on m’a proposé son nom j’ai trouvé que c’était une excellente idée. Pour le rôle du jeune homme, nous avons fait des essais avec quatre comédiens, tous très bons. J’ai retenu Richard Madden, sans savoir qu’il avait joué dans Game of Thrones, que je ne connaissais pas. Du coup, quand nous avons été présenté le film à Toronto, ça a été de la folie ! Quant à Alan Rickman, les choses se sont faites simplement : j’ai été prendre le thé avec lui à Londres, nous avons bavardé et à mon retour, dans l’Eurostar, j’étais tout content à l’idée de travailler avec lui. Ce métier est formidable pour ce genre de rencontres ! »


Formidable. Leconte l’a dit et n’en démordra plus. Il va persévérer au cinéma. Promis, juré.

 

Philippe Durant


UNE PROMESSE

De Patrice Leconte

Avec Rebecca Hall, Alan Rickman, Richard Madden

1h38. Sortie le 16 avril 2014


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