Le petit livre des Bronzés - entretien avec Patrice Leconte

Suntan Boulevard

Souvenirs de l’Age du Bronze

 

Parution chez First Éditions du Petit livre des Bronzés, un guide précis, savant et drôle concocté par Philippe Lombard sur la saga désormais classique du cinéma comique français. Entretien avec le réalisateur Patrice Leconte sur l’étonnant destin de ces perdants magnifiques.

 

Ses amis s’étonnent : « Comment ? tu ne vas pas à Cannes ? » Non, il ne va pas à Cannes. D’ailleurs, pourquoi irait-il à Cannes ? « Cannes, explique Patrice Leconte, est un endroit merveilleux quand on a quelque chose à y faire. C’était parfait quand j’y suis allé pour présenter Monsieur Hire ou Ridicule, ou encore lorsque j’ai eu la joie d’être membre du jury. Mais la seule fois où j’y suis allé sans raison, le nez au vent et les mains dans les poches, j’ai connu l’inintérêt de Cannes quand on n’a rien de particulier à faire. On voudrait nous faire croire que Cannes réunit pendant quinze jours tout le cinéma français ou international ! Chacun sait, et ce n’est pas une caricature, que la plupart des gens qui se rencontrent à Cannes se quittent en se disant : “ On se voit à Paris ”. »


Quiconque a rencontré Patrice Leconte sait aussi que, comme la nature, ce garçon a horreur du vide. Mais lui-même n’est pas certain que cette obsession d’efficacité qui le caractérise soit forcément une vertu : « C’est épuisant pour l’entourage, les hyperactifs. J’ai tendance à débarrasser la table sans attendre que mes invités aient fini leur assiette… J’essaie de me calmer, mais je crois qu’il est trop tard pour que je change. Il m’est arrivé, dans ce bureau où nous sommes, de n’avoir rien à faire. Et, si je peux sortir pour aller au cinéma l’après-midi, je n’arrive pas à me poser sur ce canapé pour lire un roman ; je me sens coupable. De quoi ? Je n’en sais rien au juste. C’est triste, non ? »


« La révolution est comme une bicyclette : quand elle n’avance pas, elle tombe », aurait dit le président Mao Zedong. Leconte est toujours en révolution. Il avait il y a quelques années évoqué dans un bonus de dvd la perspective de sa retraite. Un très fâcheux moment d’égarement qu’il préfère oublier. Une Heure de tranquillité ? C’était certes le titre de son dernier film. C’est peut-être l’idéal auquel il aspire. Mais secrètement.


Toutefois, la sortie aux éditions First d’un ouvrage de Philippe Lombard sur ses Bronzés l’invite à se retourner sur sa carrière, d’autant plus que cette saga est une affaire qui continue à tourner : « Les deux premiers Bronzés, précise-t-il, avaient marché agréablement quand ils sont sortis il y a près de quarante ans, mais sans faire des étincelles. Ce n’est qu’ensuite, grâce à la télévision, que le phénomène a pris de l’ampleur. »


Le livre de Philippe Lombard est un tout petit livre, de cent soixante très petites pages (8,5 cm x 12 cm), et n’est pas le premier consacré à ce qui est désormais une trilogie, mais il ne se contente pas de collationner platement une suite de répliques « culte » et aborde les aventures des Bronzés sous tant d’angles différents qu’il séduira tout autant les fans et les ignares qui souhaiteraient l’être un peu moins. Tout à la fois érudit et drôle, il inclut même un malicieux chapitre composé uniquement de critiques négatives et méprisantes parues au moment de la sortie des deux premiers films. Ce qui, d’une certaine manière, rejoint l’un des thèmes favoris de Patrice Leconte, celui des vicissitudes du temps qui passe. A ceci près que, alors que dans les films de Leconte, même dans ses comédies, ce passage du temps s’accompagne presque toujours d’un véritable désespoir — Ridicule, Tandem, l’Homme du train, Monsieur Hire ne se terminent pas exactement sur des happy ends —, l’histoire des Bronzés, au moins des deux premiers (le cas du troisième n’est pas encore définitivement réglé), s’impose comme une véritable success story.

 

 

Avez-vous relevé des erreurs ou des inexactitudes dans le livre de Philippe Lombard ?

 

Patrice Leconte <> Non, je n’ai rien relevé de cet ordre. C’est un livre qui est visiblement le fruit de longues recherches, mais l’auteur a fait un travail de parfumeur. On peut écrire un bouquin de huit cents pages sur le Splendid et les Bronzés… Lui a préféré se nourrir de tout un tas d’informations pour en extraire l’essentiel — l’essence. Et je pense sincèrement que quelqu’un qui n’aurait jamais entendu parler des Bronzés — cela doit bien exister… — aurait, simplement en lisant ce petit livre, une connaissance parfaite de l’entreprise. J’ai vu récemment sur la Cinq un documentaire sur le Splendid, dans lequel j’intervenais moi-même. Très bien. Mais cela durait une heure trente et n’était pas exempt de délayage. J’aime beaucoup la citation de Pascal : « Je n’ai fait [cette lettre] plus longue que parce que je n’ai pas le loisir de la faire plus courte. » Ce mot me touche infiniment. Faire long, c’est plutôt facile, et certains ne s’en privent pas. S’en tenir à l’essentiel, sans pour autant être sec comme un coup de trique, voilà où est le mérite. Philippe Lombard a écrit un manuel idéal des Bronzés.

 

Cet ouvrage vous a-t-il fait découvrir des choses ?

 

Sincèrement, non. C’eût été étonnant. Je dois cependant avouer que je n’ai su répondre à aucune des vingt questions du quiz final, alors que la jeune femme qui me coupe les cheveux n’a calé que sur deux questions. Mais c’est normal : c’est une fan ; elle a dû voir avec sa meilleure copine les Bronzés 1 & 2 cent vingt-cinq fois, ce qui n’est pas mon cas.

 

L’équation Leconte = les Bronzés n’est-elle pas devenue pour vous un peu pesante ?

 

Cette association ne m’a jamais embarrassé. Avoir réalisé les Bronzés 1 & 2, ce n’est sans doute pas plus glorieux qu’avoir la Légion d’honneur, mais c’est un titre gratifiant, quand on sait combien ces films ont été vus et combien ils plaisent au public. Si mon talent n’était reconnu que pour ces deux films, cela me gênerait un peu. Mais nombreux sont ceux, parmi les fans des Bronzés, qui aiment aussi Ridicule, ou qui me disent que le Mari de la coiffeuse est leur film préféré. Je n’ai pas le sentiment d’être réduit aux Bronzés.

 

Mais, alors que tout le monde sait que Patrice Leconte est le réalisateur des Bronzés, tous les gens qui ont vu Monsieur Hire ne seraient peut-être pas capables de citer le nom du réalisateur…

 

J’ai une filmographie disparate. Il est normal qu’elle suscite des enthousiasmes disparates. Tel spectateur préférera Tandem, tel autre la Fille sur le pont…  Qu’on n’associe pas toujours à un film le nom de son réalisateur est finalement assez normal. Je pense qu’il se passe à peu près la même chose pour Alain Corneau, qui a réalisé des films d’une diversité ahurissante. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de gens qui ont vu des films d’Alain Corneau sans savoir qu’ils étaient d’Alain Corneau.

 

Quel est votre sentiment quand vous constatez qu’Une Heure de tranquillité, comédie distrayante mais superficielle, obtient le succès que n’a pas eu Une Promesse, qui était d’un tout autre calibre ?

 

J’ai eu beaucoup de plaisir à tourner Une Heure de tranquillité. Je ne me retrouvais pas dans ce film (mis à part le fait que le héros est, comme moi, un hyperactif !), mais j’ai éprouvé la satisfaction qui peut être celle d’un artisan qui connaît son affaire et peut travailler dans de très bonnes conditions. Je me suis, entre autres, très bien entendu avec les comédiens. Évidemment, je suis très malheureux qu’Une Promesse ait attiré si peu de spectateurs. Plus d’un million pour Une Heure, 130000 pour Une Promesse… Il y a dans cette disproportion quelque chose qui me dépasse et qui me chiffonne. Mais on est toujours à côté de la plaque quand on prétend analyser les succès ou les insuccès. Une Promesse s’inspirait d’une nouvelle de Zweig, auteur que les gens adorent. La distribution était remarquable. L’affiche était magnifique. C’est une très belle histoire d’amour romantique… Peut-être le même film aurait-il fait 600000 entrées s’il avait été réalisé par un Anglais ? s’il avait été signé James Ivory ? Sincèrement, je le crois. J’aurais dû prendre un pseudonyme…


Il y a les films dans lesquels je me retrouve et qui marchent. Il y a les films dans lesquels je me retrouve et qui ne marchent pas. Les films qui ne me ressemblent pas et qui marchent me procurent une joie étrange. Disons-le tout net : si l’on fait un film de commande, autant qu’il marche ! Un film de commande qui ne marche pas ? Il ne vous reste plus que vos yeux pour pleurer…

 

Dans quelle catégorie faut-il placer les Bronzés 3, qui semble avoir été pour beaucoup une déception ?

 

Bien sûr, on peut dire que ce film a fait beaucoup d’entrées uniquement parce qu’il y avait une énorme attente. Mais il est faux de dire que ce film n’a pas plu. J’ai pu personnellement constater à quel point les gens riaient dans les salles. Les Bronzés 3 n’a pas du tout connu la dégringolade vertigineuse des Visiteurs 3. Premiers jours mirobolants pour ces Visiteurs, mais -55% la deuxième semaine, -60% la troisième… Sans doute, tout simplement, parce que le film n’a pas plu aux spectateurs.


J’ai envie de citer ici la réaction d’un ami journaliste : « Je ne peux pas te dire si j’aime ou si je n’aime pas les Bronzés 3, parce que j’adore aujourd’hui le 1 et le 2 alors que je ne les aimais pas du tout au départ. On en reparlera dans dix ans… » Pour être franc, je n’ai pas un très bon souvenir du tournage des Bronzés 3 : trop de pression, trop d’argent. C’est un film qui a été très bien produit — le regretté Christian Fechner a vraiment été un prince —, mais l’insouciance qui avait caractérisé les deux premiers Bronzés n’était plus là. Disons que l’embourgeoisement des acteurs et de leurs personnages a pu être un élément gênant. Finalement, le seul personnage qui me touche infiniment, c’est celui de Clavier : ce type est au fond du trou, mais il y croit encore. L’argent pourrit le football — il a sans doute un peu abîmé les Bronzés 3. Les gens qui ont réussi sont forcément moins drôles…

 

Il semble qu’Yves Rousset-Rouard, qui avait produit les Bronzés et les Bronzés font du ski, ait été un peu fâché de ne pas être de l’aventure du 3.

 

Vous voulez dire qu’il était fou de rage ! Il avait eu une importance capitale pour les Bronzés 1 & 2. C’est lui qui avait eu l’idée qu’on pouvait tirer un film de la pièce Amours, coquillages et crustacés. Ce n’était pas un mauvais producteur, loin de là. Il savait flairer un succès. C’est lui qui nous a persuadés de mettre très vite en chantier les Bronzés 2. Mais il avait de drôles de rapports avec le cinéma et vivait mal le fait d’avoir fait fortune avec Emmanuelle et les Bronzés. Alors il essayait d’effacer sa mauvaise conscience et de s’acheter une respectabilité en produisant Losey. Quand nous avons commencé à envisager les Bronzés 3, nous avons tous eu envie d’aller trouver Christian Fechner, avec qui chacun de nous avait travaillé : c’était l’homme qui saurait le mieux produire ce troisième volet. Aucun de mes amis du Splendid n’a songé à appeler Yves Rousset-Rouard, devenu entre-temps député, pour lui demander de reprendre du service en tant que producteur. Alors, oui, il a été furieux. Nous voulions que le portable de Popeye (Thierry Lhermitte) ait pour sonnerie la chanson Viens nous voir…  — elle fait d’ailleurs partie des sonneries téléchargeables. Yves Rousset-Rouard, qui possédait les droits de cette chanson, a demandé une telle somme quand nous nous sommes adressés à lui que je lui ai répondu que, pour le même prix, nous allions plutôt prendre un titre des Beatles. Je crois même que nous aurions pu nous offrir la totalité de l’album Sgt. Pepper !

 

Michel Blanc a déclaré qu’il était hors de question qu’on puisse voir un jour un Bronzés 4…

 

…comme il était hors de question de faire un 2 après le 1, et hors de question de faire un 3 après le 2... Michel Blanc est celui qui s’est le plus amusé à faire les Bronzés 3. Il était merveilleux, détendu, il a joué le jeu. Maintenant, c’est vrai, Fechner n’étant plus parmi nous, je ne nous vois pas allant sonner à la porte d’un producteur pour aller lui proposer les Bronzés 4. Jérôme Tonnerre et moi-même avons pu travailler un peu en ce sens sur la demande de Thomas Langmann, mais vaguement, très vaguement, sans vraiment y croire. Fechner pensait que, s’il devait y avoir un 4, il fallait le tourner un an après le 3, comme nous avions tourné le 2 un an après le 1. Et je pense qu’il avait raison. J’ai bien une idée qui est pratiquement à l’opposé de ce principe, mais elle est, je le crains, parfaitement irréalisable. Pour moi, le vrai Bronzés 4, sans être un remake de la Fin du jour de Duvivier, nous ferait retrouver les Bronzés vieux et méchants dans une maison de retraite. On pourrait même tourner cela en noir et blanc, tant qu’à faire.

 

Que signifie le mot réalisateur quand le réalisateur a face à lui les six loustics du Splendid ?

 

Je ne vais pas vous dire que c’est commode tous les jours. Mais, comme, à quelques mois près, nous avons tous le même âge, j’ai depuis le début l’impression d’être le septième membre du Splendid, comme d’Artagnan était le quatrième des Trois Mousquetaires. Il y a deux aspects dans cette entreprise. D’un côté, un esprit collectif, partageur ; chacun fait confiance à chacun. Mais d’un autre côté, les Six sont ravis de pouvoir faire confiance à quelqu’un qui puisse mener à bien leur projet. Évidemment, si l’on parle de ce qu’on nomme pompeusement « direction d’acteurs », ils n’ont pas vraiment besoin de mes services : chacun connaît son personnage aussi bien que moi. Disons que j’ai été l’homme providentiel qui a su donner à leur projet la meilleure forme possible.

 

Viennent-ils mettre leur grain sel au moment du montage ? Et, inversement, quel a été votre rôle dans l’élaboration des scénarios ?

 

Les films sont écrits de façon équilibrée et je m’arrange pour ne jamais remettre en question cet équilibre. S'ils avaient dû passer à tour de rôle dans la salle de montage, on y serait encore ! C’est Christian Fechner, la monteuse Joëlle Hache et moi-même qui, pour les Bronzés 3, avons pu décider de couper ici ou là des longueurs. Je ne me souviens pas qu’aucun des Six soit venu réclamer ou suggérer une quelconque modification quand nous leur avons soumis une version du film proche de la version définitive. Ils n’ont pas été le moins du monde interventionnistes.


Pour les Bronzés 1, je n’avais pas encore beaucoup d’expérience, mais je les ai aidés à faire de leur pièce autre chose sur l’écran qu’une simple chronique. Le scénario du 2 a été l’affaire exclusive de Jugnot, Clavier et Lhermitte. Pour le 3, ils s’y sont mis tous ensemble et ont sollicité mon avis de temps en temps, mais je n’ai pas été partie prenante dans l’élaboration du scénario.

 

Il est difficile d’imaginer que vous puissiez entretenir le même rapport de complicité avec chacun des six…

 

Je ne sais si c’est chez moi une qualité ou un défaut, mais j’ai horreur des conflits. Dans les Bronzés 3, les personnalités étaient plus définies, plus exacerbées, mais je me suis toujours arrangé pour qu’aucun comportement individuel ne fasse des vagues. L’intransigeance de certains a pu être agaçante. L’amitié était toujours là, la confiance un peu moins. Michel Blanc était celui avec qui je m’entendais le mieux (nous avions fait des films tous les deux ensemble). Thierry Lhermitte, qui est pourtant celui que je vois le plus after hours et que j’adore, était particulièrement tatillon. Si le scénario disait que les fleurs étaient bleues, il n’acceptait pas que le décorateur ait pu apporter des fleurs orange. J’exagère ? A peine. Thierry a d’ailleurs déclaré dans une interview, bien longtemps après le tournage, que ses camarades et lui-même avaient pu parfois dépasser le degré de pénibilité admissible. Je suis heureux qu’il s’en soit rendu compte !

 

Woody Allen : quatre-vingts ans. Ken Loach : quatre-vingt-un. Spielberg : soixante-dix… Que pensez-vous de l’âge de ces messieurs présents à Cannes cette année ?

 

A vrai dire, je ne sais pas trop ce que j’en pense. Certains cinéastes ont fait des films formidables jusqu’à leur dernier souffle. Bergman, par exemple. D’autres ont continué de travailler parce que c’est ce qui les maintenait en vie, mais leurs films sont devenus un peu secs, et c’est ce qui m’effraie un peu. Le dernier Woody Allen, Café Society, est élégant, brillant, merveilleusement interprété, impeccable cinématographiquement, mais ça raconte quoi, dites-moi ? C’est un écrin splendide, mais une coquille vide. Ma femme m’a dit : « J’espère que tu t’arrêteras plus tôt que lui si c’est pour faire des films aussi creux. »


Cela dit, si je n’avais pas de projets, je serais le plus malheureux des hommes. Quand Mamie Loto, le film que je devais tourner dans le Nord avec Josiane Balasko, n’a pas pu se faire, faute de financement, le coup a été dur, même si je me dis qu’il faut être fataliste et que quand les choses ne se font pas, c’est qu’elles ne devaient pas se faire. J’avais heureusement déjà autre chose sur le feu et je me suis immédiatement remis au travail avec Jérôme Tonnerre pour écrire le scénario d’une belle histoire d’amitié entre deux femmes, l’espace d’une nuit, dans Paris occupé. Cela s’appelle pour l’instant Deux passantes dans la nuit. Nous tenons à ce titre « modianien », mais il peut encore changer.

 

Propos recueillis par FAL

 

Philippe Lombard, Le Petit livre des Bronzés, First Éditions, avril 2016. 2,99€.

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