4, 3, 2, 1... le faux compte à rebours de Paul Auster

Dans un impossible retour vers le futur, Paul Auster imagine quatre variables possibles pour le destin d’Archie Ferguson, quatre hypothèses déployées sur sept étapes, quatre possibilités pour suivre ce jeune homme né à Newark en 1947 dans une famille de la classe moyenne…
Quatre manière de voir comment une vie peut basculer selon un détail, une décision prise ou reportée, un accident de voiture, un incendie, une tentative d’escroquerie aux assurances, une affaire familiale en proie aux jalousies, les peines de cœur et la découverte de la sexualité à l’adolescence, les amours interdits, les cousines trop sexy, le garçon entreprenant, l’amie de la famille si séduisante…

Avec une variation qui nous touche plus profondément, à la page 414, quand le jeune Ferguson, à peu près au même âge que votre serviteur – et avec le même effet dévastateur –, croise sur sa route de futur écrivain Crime et Châtiment qui fut l’éclair tombé du ciel qui le fracassa en mille morceaux et quand il parvint à s’en remettre, il ne subsistait plus chez Ferguson le moindre doute quant à son avenir. Si un livre pouvait être cela, si c’était cela l’effet qu’un roman pouvait provoquer dans le cœur, l’esprit et la vision la plus intime qu’on pouvait avoir du monde, alors écrire des romans était certainement la meilleure chose qu’on puisse faire dans la vie, car Dostoïevski lui avait montré que les histoires imaginaires pouvaient aller bien au-delà du plaisir et du divertissement, qu’elles pouvaient vous retourner complètement, vous arracher le sommet du crâne, vous ébouillanter, vous frigorifier, vous déshabiller et vous jeter dehors nu, en proie aux vents violents de l’univers, et à compter de ce jour, après s’être débattu dans tous les sens pendant son enfance, perdu dans les miasmes toujours plus épais de la perplexité, Ferguson, enfin, savait où il allait ou du moins savait où il voulait aller et pas une seule fois au cours des années suivantes il ne revint sur sa décision, pas même pendant les années les plus dures quand il avait l’impression d’être au bord du précipice.

Qui n’a pas rêvé de pouvoir tout recommencer, qui n’a jamais tergiversé sans savoir quelle direction prendre, qui n’a jamais regretté un choix de carrière, une orientation scolaire, une déception sportive qui aurait tout changé, pense-t-on, si le contraire était arrivé.
Paul Auster s’offre le luxe de tout chambouler, de tout reprendre dans l’autre sens, comme le lui a enseigné le Talmud, Ip’ha mistabra, "il faut tout reprendre dans l’autre sens" ; alors notre écrivain génial qui retrouve ici toute la fougue de la trilogie new-yorkaise reprend tout en sens inverse, en bon talmudiste du XXIe siècle.

Rejouer la scène, revivre le moment crucial en obliquant vers l’absurde, ou la raison, l’audace ou le conformisme ; quatre raisons d’espérer un ailleurs, un autrement, un différent ; quatre habits jetés au dévolu sur son héros dans un tourbillon incessant qui emporte le lecteur dans une farandole illuminée portée par cette écriture dense et fluide, composée d’images et de sons, d’odeurs et de douleurs, de miel et de nuages : contemporain et éternel, ce roman parlant fascine et subjugue.
Du très grand art.

 

François Xavier

 

Paul Auster, 4 3 2 1, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gérard Meudal, Actes Sud, coll. "Lettres anglo-américaines",  janvier 2018, 1024 p. – 28 €

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