Le charme distinct et abstrait de Berthe Morisot

Il y a des mardis qui sont plus célèbres que d’autres, ceux de Stéphane Mallarmé par exemple, qui reçoit dans une sorte de cénacle de la haute culture ses amis parisiens. Paul Valéry est accueilli un de ces Mardis rue de Rome, au domicile du poète symboliste. Il a l’occasion d’y rencontrer en 1894 Berthe Morisot (1841-1895). Par un jeu d’alliance, s’étant marié avec la nièce de l’artiste, il l’appellera Tante Berthe. Pas de plume mieux placée que la sienne pour dessiner un portait qui additionne les bons points, comme une copie écrite par un élève aussi malicieux que studieux et à qui le jury attribue toutes les mentions. « Berthe Morisot vivait dans ses grands yeux dont l’attention extraordinaire à leur fonction, à leur acte continuel, lui donnait cet air étranger, séparé qui séparait d’elle…Étranger, c’est-à-dire étrange; mais singulièrement étranger, étranger, éloigné par présence excessive ».

Dans la préface du catalogue de l’exposition marquant les cent ans de la naissance d’Edouard Manet, il écrit : « Je ne mets rien, dans l’œuvre de Manet, au-dessus d’un certain portrait de Berthe Morisot, daté de 1872…Je puis dire à présent que le portrait dont je parle est poème. Par l’harmonie étrange des couleurs, par la dissonance de leurs forces ; par l’opposition du détail futile et éphémère d’une coiffure de jadis avec je ne sais quoi d’assez tragique dans l’expression de la figure. Manet fait résonner son œuvre, compose du mystère à la fermeté de son art. Il combine la ressemblance physique du modèle, l’accord unique qui convient à une personne singulière, et fixe fortement le charme distinct et abstrait de Berthe Morisot ».
Il songe aux  transparences du portrait éblouissant de délicatesse de Vermeer, La jeune fille à la perle. Le portrait à la pointe sèche de Marcellin Desboutin, apporte un autre éclairage, non moins intéressant sur la personnalité de Berthe Morisot.

L’artiste a épousé Eugène Manet, le frère du grand peintre. Autour d’elle, élégante égérie presque malgré elle, gravitent des amis et des relations qui comptent alors, Monet, Sisley, Renoir, Degas, Pissarro. Le jugement de Valéry est sans appel. En marge des « dévots » qui ont le « culte de la Lumière », Berthe se « tient à l’écart…elle peint à sa guise ». Un compliment extrême en cette époque où la bourgeoisie n’est pas tendre envers les femmes artistes.
« Elle prenait, laissait, reprenait le pinceau, comme nous prend, s’efface et nous revient une pensée. C’est là ce qui confère à ses ouvrages le charme très particulier d’une étroite, presque indissoluble relation entre un idéal d’artiste et l’intimité d’une existence ». Renoir exécute en un joli portrait de Julie Manet, la fille du couple, en 1887. La petite fille, alors âgé de 9 ans, vêtue d’une très élégante robe blanche avec des motifs brodés dorés pose, un chat enserré avec tendresse dans ses bras. Les pages écrites par Mallarmé qui suivent celles de Valéry complètent ce portrait d’une « dame…qui ne possédait rien de banal ».

Dominique Vergnon

Paul Valéry, Berthe Morisot, 5 illustrations, 150 x 230, Les éditions de Paris-Max Chaleil, juin 2019, 80 p.-, 13 euros

 

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