Verlaine en martyr ? "Cellulairement" pour la première fois exposé

Le printemps 2013 sera celui de la calligraphie, d’une certaine manière. Après la publication dans la Pléiade de la version intégrale des Mémoires de Casanova et la présentation du manuscrit original, c’est au tour de Paul Verlaine. Pour accompagner l’exposition Verlaine emprisonné (jusqu’au 5 mai 2013 au Musée des lettres et des manuscrits de Paris), Gallimard a fait appel à Pierre Brunel. Clin d’œil du calendrier, il vient de publier une ballade littéraire sur la rue des Martyrs (Pierre Bruel, Rue des Martyrs, Les éditions du Littéraire, décembre 2012, 160 p.- 18,70 €). On ne pouvait rêver meilleur guide pour nous narrer l’extraordinaire aventure de ce manuscrit acheté en 2004 par l’État.


Drôle de livre que celui-ci. Maintes fois reporté malgré l’importance primordiale qu’il prenait aux yeux de son auteur. Paul Verlaine en ayant assuré une minutieuse calligraphie et présenté à Ernest Delahaye dans une lettre du 7 mai 1875. Or, si les Romances sans paroles furent publiées en 1874 (quand Verlaine était en prison) mais composées bien avant, il faudra attendre janvier 1881 pour que Sagesse paraisse. Et entre les deux, rien. Or, Cellulairement a été composé après sa sortie de prison (Bruxelles, 11 juillet au 24 octobre 1873 – Mons, 25 octobre 1873 au 16 janvier 1875) mais fut par la suite démembré : tous les poèmes, à l’exception d’un seul, ont été réintroduits dans d’autres publications…


Pourquoi nier ce recueil ? Pour effacer cette aventure carcérale ? Les exégètes pointent des hypothèses, Ariette oubliée aurait pu être composée à Londres, en octobre 1872, ville tout aussi baignée de pluie que Bruxelles. Laquelle, fait remarquer Guy Goffette laisse aussi, parfois, un ciel bleu par-dessus le toit, que Verlaine contemple sans relâche…


Mais ce qui fait toute l’importance de ce recueil est à chercher du côté de la métamorphose du poète. Ce manuscrit si magnifiquement calligraphié témoigne d’une quête, d’une remise à neuf de son âme et, par effet de ricochet, de son écriture. Il rappelle à sa mémoire quelques simples formules apprises dès l’enfance. Ce "stock d’épithètes bénites et d’adjectifs oints", qu’il saura marier aux élans lamartiniens (qu’il critiquait naguère) pour mieux affirmer son propos. Verlaine écrira une série de poèmes sataniques qu’Antoine Adam placera sous le signe de Rimbaud. Non pas du côté de la forme narrative, mais par "les révélations qu’ils nous apportent sur certaines préoccupations de Verlaine et Rimbaud dans les derniers mois du séjour de Londres, immédiatement avant Bruxelles" (juin 1873).


Nous voilà au cœur du mystère : la mise en pratique du rêve des deux hommes de réaliser le pur amour, au sens quiétiste du mot. Un amour au-delà du bien et du mal, de la récompense du châtiment… Un amour qui est pur en ce sens qu’il est l’Absolu. Et qu’il n’a d’autre fin que lui-même.


Verlaine prisonnier de la vie ? Paradoxalement, ses premiers vers, et les derniers qu’il ait laissés, ont pour thème la mort. Son tombeau sera sa dernière cellule. Mais de là à penser qu’il fut prisonnier de la vie… L’amour frappa à sa porte. Et Sagesse vint sous sa plume. Un Verlaine nouveau qui se parle à lui-même. Invoque Jésus et tire un trait sur ce cauchemar. Oubliée l’incarcération. Et donc le manuscrit. Certains poèmes furent repris dans Sagesse. Et dans Amour seule l’ombre cellulaire flottera.


Ce recueil retrouvé permet donc de franchir les cellules spirituelles de Verlaine. Ouvertes à nos yeux par la grâce de la poésie. Aurait-il mieux valu qu’il parvînt à publier intégralement Cellulairement tel qu’il l’avait mis en forme ? Ce n’est pas trahir que de le publier aujourd’hui. Si faiblesse on devine parfois, humain jamais trop humain on apprécie aussi, ce penchant sur soi-même. Verlaine prisonnier de Verlaine. Martyr non du système, mais bien de ses turpitudes. De ses questionnements. De ses possibles impossibles à admettre. À résoudre. L’amour pour un autre homme. L’amour limpide et fluide. Sans désir physique, pur et dénué d’intentions malveillantes…


Cellulairement est donc bien là. Dans ce très beau petit livre qui donne à lire, aussi, le fac-similé de l’original. Sur papier glacé. Un pur plaisir de découverte. Et ce texte nous montre combien cet homme fut seul. Seul Paul Verlaine en parfait état d’abaissement. De désespoir le temps que Jésus lui apparaisse. Un dieu venu de l’intérieur de lui-même. Une voix pour lui intimer de laisser parler son cœur.


Dans sa forme complète, le manuscrit de Cellulairement, précise Pierre Brunel, permet de suivre le mouvement du "Saturnien" vers un "cela" qui n’est pas seulement "vague et soluble dans l’air". Mais qui a bien toute la forme d’une affirmation finale.


Annabelle Hautecontre


Paul Verlaine, Cellulairement suivi de Mes Prisons, édition de Pierre Brunel accompagné du fac-similé du manuscrit original de Cellulairement, Poésie/Gallimard, mars 2013, 388 p. – 9,90 €

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