"Vénus privée", noire Italie

Un parcours météorique


Giorgio Scerbanenco est né à Kiev en 1911, de mère italienne et de père ukrainien. Son père est fusillé par les bolcheviks et il est contraint de fuir avec sa mère qui décèdera à Rome peu de temps après. À l'âge de 16 ans, il arrive à Milan et travaille pour des journaux féminins, d'abord comme correcteur, puis comme auteur de nouvelles et de romans à l'eau de rose.


Il se tourne vers le polar dans les années 50, en écrivant d'abord des nouvelles. Puis il a l'idée de créer « un type de flic italien et non pas seulement une version gauchement italianisée d'un Sam Spade ou d'un Maigret » : c'est ainsi que naît le personnage de Duca Lamberti, ancien médecin radié de l'ordre pour euthanasie, qui mène ses enquêtes en collaboration avec la police. L’auteur est décédé en 1969 à l’âge de 58 ans.

 

Le roman d’un « nettoyeur »


Duca Lamberti, est donc engagé à sa sortie de prison par un milliardaire, Auseri, pour s’occuper de son fils, Davide, jeune homme de vingt ans au comportement renfermé, alcoolique et autiste. Lamberti s’occupe donc du jeune homme et le sauve même d’une tentative de suicide. Persuadé que l’alcoolisme cache un mal plus profond, il entreprend de gagner la confiance de Davide qui finit par lui raconter son histoire : un an plus tôt, celui-ci a rencontré une jeune fille avec laquelle  il a couché pour de l’argent. La jeune fille, paniquée, essaie de le persuader de l’emmener loin de Milan mais Davide refuse. La fille devient alors hystérique et il la force à descendre de voiture. Le lendemain, il découvre qu’elle a été retrouvée morte.


Lamberti comprend que, pour rendre la santé et l’envie de vivre à Davide, il faut lui enlever de la tête l’idée qu’il est responsable de la mort de cette fille. Il prend contact avec des amis policiers qui lui passent le dossier de cette morte. Constatant des zones d’ombre, il reprend l’enquête et réalise qu’il y a eu au moins un autre meurtre similaire, que ces morts sont de surcroît à relier à l’expansion d’un réseau de prostitution à l’échelle européenne. Son but est clair : retrouver les responsables de ce réseau et les faire payer.

 

Le noir à « l’italienne »


Très clairement, l’auteur a assimilé les codes du roman noir américain. Lamberti est un homme marqué par le passé - voire la fatalité - qui va entreprendre finalement de venger la jeune fille assassinée, un peu à la manière du continental op de Dashiell Hammett dans la Moisson rouge. L’originalité est ici de proposer un personnage de détective qui est aussi un ancien médecin. L’enquêteur est tout autant un guérisseur : sauver Davide implique de ramener à la surface des meurtres oubliés, seul moyen d’éloigner ce désir de mort qui l’obsède. Et aussi une manière pour Lamberti d’écarter l’ombre de la grande faucheuse dont il a été l’agent.


Scerbanenco dévoile petit à petit l'horreur de la situation sans surenchère dans la violence, fusillades éperdues ou courses poursuites effrénées. Le style de l’auteur se caractérise par sa sobriété, à l’image de celui de Chandler. Si on devine ses influences - ajoutons à Chandler, Simenon et Ross McDonald -, elles sont par contre complètement assimilées.


De ce côté-ci des Alpes, Giorgio Scerbanenco était quasiment inconnu, un manque que les éditions Rivages ont décidé depuis plusieurs années et à bon escient, de réparer : recommandé.

 

Sylvain Bonnet


Giorgio Scerbanenco, Vénus privée, éditions Payot - Rivages, traduit de l’italien par Laurent Lombard, octobre 2010,  272 pages, 8,50 €


2 commentaires

Très belle idée de consacrer un article à cet auteur "nerissimo" ! Merci ! Personnellement, je recommanderais également "Les Milanais tuent le samedi" et plus encore "Les Enfants du massacre", chez le même éditeur.

Merci Frédéric! très bon auteur, que les éditions rivages ont beaucoup publié. François Guérif dit de très bonnes choses sur lui dans son dernier ouvrage de conversations sur le polar.