Dans une lettre envoyée
en janvier 1890 depuis Saint Rémy de Provence par laquelle il remercie Gabriel-Albert
Aurier, écrivain et critique d’art mort à l’âge de 27 ans qui avait publié dans
Mercure de France un article élogieux
au sujet de sa peinture, Van Gogh note ceci : « Je trouve que vous faites
de la couleur avec vos paroles. Je retrouve mes toiles mais meilleures qu’elles ne le sont en réalité,
plus riches, plus significatives. Pourtant, je me sens mal à l’aise lorsque j’y
songe, que plutôt qu’à moi ce que vous dites reviendrait à d’autres ». Modestie
foncière, attention à autrui, doute envers lui-même et sa capacité à exprimer
ce qu’il ressent, avec des mots toujours ajustés à son idée, Van Gogh se révèle
tel qu’en lui-même. Les mots forts et vrais de Gabriel-Albert Aurier touchaient
en effet au cœur de la vie et du travail de l’artiste, traduisaient la
puissance de ses couleurs, la force du message d’amour et de désespoir indissolublement
unis. Ils en dénudaient le caractère, avec justesse, sans ternir ce qui assurait
selon lui l’éclat de son art.
Un extrait donne la
mesure de la réflexion remarquablement éloquente et originale du critique:
« Sa couleur, nous la connaissons déjà. Elle est invraisemblablement
éblouissante. Il est, que je sache, le seul peintre qui perçoive le chromatisme
des choses avec cette intensité, avec cette qualité métallique, gemmique. Ses
recherches de colorations d'ombres, d'influences de tons sur tons, de pleins
ensoleillements sont des plus curieuses. Il ne sait pas toujours éviter,
pourtant, certaines crudités désagréables, certaines inharmonies, certaines
dissonances... Quant à sa facture proprement dite, à ses immédiats procédés
d'enluminer la toile, ils sont, ainsi que tout le reste de ce qui est lui,
fougueux, très puissants et très nerveux. Sa brosse opère par énormes
empâtements de tons très purs, par trainées incurvées, rompues de touches
rectilignes..., par entassements, parfois maladroits, d'une très rutilante
maçonnerie, et tout cela donne à certaines de ses toiles l'apparence solide
d'éblouissantes murailles faites de cristaux et de soleil…Vincent Van Gogh, en
effet, n'est pas seulement un grand peintre, enthousiaste de son art, de sa
palette et de la nature, c'est encore un rêveur, un croyant exalté, un dévoreur
de belles utopies, vivant d'idées et de songes ».
Sans effraction mais
avec résolution, s’appuyant sur sa correspondance qui était abondante, sur des
ouvrages de référence, Karin Müller a voulu entrer en quelque sorte dans l’existence
du peintre, pour le faire non pas revivre mais simplement vivre de page en
page, jour après jour, dans la douleur physique comme dans la joie psychique,
de la passion à la création. Comment mieux faire, afin de garantir la validité
de cet accès à l’intérieur d’un homme sinon choisir d’écrire à la première
personne, ce qui donne un ton d’authenticité et de vécu au livre. Elle a suffisamment
d’intuition pour ressentir ce que Vincent éprouvait, jusqu’à la tristesse, l’incertitude,
l’exaltation, l’affection envers les siens. Elle se vêt de ses habits pour
mieux habiter ses pensées. Ainsi Van Gogh se dévoile, se libère, se confesse,
raconte son passé, échafaude son avenir. En pareil cas, employer le je n’est pas usurper le moi d’un autre,
mais la meilleure manière de se substituer à lui pour le comprendre et deviner
ce qu’il cache. Habile transposition qui permet d’exposer en direct la réalité,
dédoublement qui tend un miroir où un seul visage apparaît.
La vie de Van Gogh est
certes connue, qui ignore les étapes de ce chemin solitaire? Elle a été analysée, scrutée, elle ne cesse de l’être, notamment
quand de nouvelles questions au sujet de son suicide par exemple sont posées.
Mais ce qui est révélé dans ce petit ouvrage très illustré, ce ne sont pas tant
les faits qui comptent que le regard que Vincent porte sur eux. L’auteur s’efface
derrière l’acteur. Vincent écrivait en mars 1883 à l’artiste Anthon Van Rappard
une lettre dans laquelle il notait que « (mon) frère m’a offert deux
morceaux de craie de montagne». Avec eux, il dessine « des femmes et des
enfants devant la fenêtre d’une gargote où l’on distribue de la soupe ».
Le ton noir le séduit par sa chaleur. « On dirait qu’il y a de l’âme et de
la vie dans cette craie de montagne, qu’elle comprend ce qu’on attend d’elle,
qu’elle y met du sien. Je voudrais la baptiser craie tsigane ».Tout
au long de ce livre, ce sont bien l’âme et la vie de Van Gogh qui sont offertes
au lecteur.
Dominique Vergnon
Karin Müller, Van Gogh…pour planer au-dessus de la vie,
éditions Michel de Maule, 127 pages, nombreuses illustrations, avril 2014, 17
euros.
1 commentaire
Magnifique article ! Merci Dominique Vergnon !