Avec le "Cézanne" de Marcelin Pleynet, on le voit bien : Cézanne est partout !

Marcelin Pleynet est historien de l’art. Il fut titulaire de la chaire d’esthétique à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, de 1987 à 1999. On appréciera ici son approche ludique du beau. Son attrait pour l’essentiel de la peinture de Cézanne. Sa volonté d’aller vers la vérité. Celle dont Cézanne avait dit qu’il nous la devait. Une manière d’entrer dans le jeu du peintre. De célébrer sa place essentielle dans le monde de la peinture. Et de l’art en général. 


D’ailleurs, Matisse n’a-t-il pas vendu la bague de fiançailles de sa femme pour acheter, chez Vollard, une peinture de Cézanne ? Ces Trois Baigneuses qui l’accompagneront pendant des décennies, accrochées sur le mur de son atelier... Et Picasso ne s’est-il pas inspiré des Grandes Baigneuses vues au Salon d’automne de 1907 pour peindre Les Demoiselles d’Avignon ?
On le voit, Cézanne est partout. Et malgré l’abondante publication qui l’entoure, peut-on encore y découvrir quelque chose de neuf ? Que savons-nous vraiment ? Où en sommes-nous ? Et qu’avons-nous raté ? 


Marcelin Pleynet nous entraîne à sa suite dans une quête du beau. Du vrai. Il s’inquiète du fait que Cézanne ne pensait que "
l’art ne s’adresse qu’à un nombre extrêmement restreint d’individus." Une aberration quand on voit les foules qui se précipite dans les musées voir ses tableaux. Une hérésie quand on écoute Kijno qui militait pour porter l’art aux plus démunis. Obligeant son marchand à exposer dans des MJC. En banlieues. Toujours plus loin des grandes galeries. Car, non, l’art n’est pas pour une élite. L’art est l’oxygène de tous.


Notre société du spectacle sait-elle encore célébrer l’art ? Dans l’immédiateté a-t-on encore le temps de voir un tableau ? Car nous nous noyons dans la Société du spectacle. Il faut donc s’en éloigner. Aller au-delà. Et dans cette perspective, comprendre que Cézanne réalise une œuvre esthétique. Une organisation rigoureuse de ses sensations. En n’excluant aucun des cinq sens. 


Picasso avait vu juste. En 1946, il écrit "
Il n’y a d’autres clefs que celles de la poésie... si les lignes et les formes riment et s’animent c’est à l’instar d’un poème." La peinture de Cézanne est bien un tourbillon. Une harmonie. Une plénitude.
Mais il est incompris. Ses contemporains le décrivent singulier, déconcertant, timide, violent, émotif, naïf... Mais un génie n’est-ce pas celui qui se distingue ? Au point que l’on ne saurait en aucune façon le comprendre ? En avance sur son temps, Cézanne, alors ? Certainement. Il est un grand maître de son vivant. Et les médiocres le jalousent...


Il n’y a rien de bourgeois dans son attitude. Il traite son contexte familial avec une objectivité qui lui assure la solitude et l’indépendance qui lui sont nécessaires. Car il doit travailler en plein air. Sur le motif. Une tâche à laquelle il s’attaquait tous les matins dès six heures. Comme en témoigne Rilke. 

Cézanne ne fréquente pas les musées, sauf le Louvre. Sans doute y a-t-il là une sorte de complicité qui se lie. Cézanne y reconnaissait une forme de pratique dans l’art du dessin. Cette abstraction que l’on peut comprendre dans la "nature" du palais du Louvre. En 1900, Cézanne a 61 ans. Et il réalise encore des dessins d’après Puget. Un travail qui le conduit à "réunir les mains errantes de la nature". Mais qui ne l’ancre pas pour autant dans le peinture impressionniste !


Truffé de citations de philosophe, d’extraits de correspondance, d’envolées lyriques et de questionnements établis, cet essai ouvre une autre vision de l’œuvre de Cézanne. Il nous conduit vers la raison sur nature de Cézanne. Cette raison qui parle le logos. Car c’est le tableau qui expose et dévoile le peintre ! Cet "instant du monde qui, en ordre, agencement et ornement, se produit et se révèle pour nous, devant nous, comme monde et comme temps dans la dispensation de l’être."


Annabelle Hautecontre


Marcelin Pleynet, Cézanne, Gallimard, "Folio  Essais", (inédit), avril 2010, 269 p. - 7,70 €    

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