Laurent Fabius, "Le Cabinet des douze - Regards sur des tableaux qui font la France" : la France en peinture

Faire le portrait d’une culture, voici un pari osé. Surtout en choisissant la peinture comme support. Et comment "enfermer" douze prétendants dans une posture si risquée ? N’ayez crainte, Laurent Fabius usera de détours pour nous présenter une cinquantaine de noms illustres. D’ailleurs, "faire la France" est à entendre comme une expression signifiant construire l’imaginaire de ce pays, lui fournir les images qui vont le construire. Et lui donner cette place dans le monde. 


D’ailleurs, dès le XVIIIe siècle, le sculpteur Houdon est désigné (en 1784) pour réaliser le buste de Washington, vainqueur de la guerre d’Indépendance. Puis Falconet se verra confier par l’impératrice Catherine II la réalisation d’une gigantesque statue équestre de Pierre le Grand. Œuvre majeure qui est toujours l’un des symboles de la ville de Saint-Pétersbourg.


La France rayonna donc. Et attira sur ses terres le hollandais Van Gogh, le bélarusse Chagall ou encore l’espagnol Picasso. Sans oublier Staël, Braque, etc.
Il n’y a donc pas d’identité française à proprement parlé. C’est la mixité des échanges qui donnera aux formes artistiques le moyen de se jouer des frontières. Le paradoxe de cette vérité, c’est que le succès des arts français à l’étranger est resté longtemps supérieur à leur résonance interne.


En douze chapitres, Laurent Fabius ose le grand écart entre Soulages et Le Nain, entre la BD et la peinture du XVIIe siècle. Preuve que l’art n’est pas le lieu de l’exclusion. Au contraire ! 

Servie par une narration elliptique, l’analyse se joue de parallèles audacieux, passant d’un siècle l’autre, associant Chardin à Manet puis Courbet ou Degas, tous à l’écoute du peuple et des instants volés au dur quotidien, immortalisés dans des œuvres à couper le souffle... 


Mais Fabius est un homme politique avant tout, et l’on se demande bien ce que viennent faire les affiches des dernières campagnes électorales pour la présidentielle. De Mitterand à Sarkoszy, sans oublier Chirac et son pommier...


Saviez-vous que l’impertinence d’un Voltaire portraituré par un jeune peintre inconnu allait mettre ce derneir au devant de la scène ? Quand Maurice Quentin de La Tour tire le portrait du célèbre exilé de Ferney, personne ne le connaît. Et depuis... 

Une technique que l’on peut observer grâce aux très belles illustrations qui nous sont données à voir. Une technique non de peintre mais de dessinateur. Des pièces extraordinaires de précisions réalisées... au pastel. Ces "crayons de couleurs" si rustiques. Et pourtant...


Viendront le lavis d’encre de Jacques Louis David et son désormais célébrissime Le Serment du Jeu de paume, et le Napoléon de Jean Auguste Dominique Ingres qui découlera sur une analyse des portraits officiels des rois puis des chefs d’état. Après un détour par "sport et peinture" (on aurait aimé voir évoquer Nicolas de Staël autrement que par ses tableaux sur le foot) on aboutit au clou du spectacle : la matière noire. Soulages consacré une fois encore. Soulages comme seul étendard français ? Certes, il est mondialement connu. Mais pourquoi encore lui ? Quid des autres ? Laurent Fabius suit-il le mouvement ? Le ton du livre laissait à penser qu’il allait oser autre chose. D’ailleurs, l’hommage rendu aux auteurs de BD, Hergé en tête, est mérité. Mais Soulages ? Même s’il mène à Rothko ou Klein, il écrase encore tous les autres peintres de son noir absolu. Total. 


Alors que certains expositions remportent de réelles succès : Jan Voss, Richard Texier, Christian Jaccard... Les peintres français contemporains, et leurs "amis étrangers", Segui, Velickovic établis en France depuis des décennies démontrent toute la splendeur de l’art. Et s’exposent tout autant à l’étranger que l’homme en noir... À découvrir alors. À laisser s’exprimer... Et à vous, lectrices, lecteurs, d’aller vers eux, aussi. Surtout.


Annabelle Hautecontre


Laurent Fabius, Le Cabinet des douze - Regards sur des tableaux qui font la FranceGallimard,  "Témoins de l’art", 85 illustrations couleurs,  septembre 2010, 224 p. - 22,50 €    

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