Autrement, Van Gogh à l’œuvre

Combattons les idées fixes : Amsterdam n’est pas que la ville du Rijksmuseum et Rembrandt n’en est pas le seul porte-drapeau ; il y a le Van Gogh Museum qui, d’ailleurs, vous attend jusqu’au 14 janvier 2014 avec cette étonnante exposition consacrée à la technique si particulière du peintre. Autodidacte de génie, certes, mais Vincent Van Gogh ne s’est jamais réellement coupé de ses contemporains, au contraire : il a beaucoup appris à leur contact, échangeant avec ses pairs idées, méthodes et impressions sur la révolution industrielle qui déboucha sur des peintures chimiques.

 

Livre exceptionnel, tant par sa taille et son format (quelle belle idée ce modèle à l’italienne qui donne plus de place aux sublimes photographies et reproductions), l’extrême attention dans la réalisation des reproductions des œuvres, ce papier légèrement granuleux qui offre au toucher une sensation unique et un rendu extraordinaire des couleurs et des profondeurs ; sans parler de la qualité des essais qui le composent. Mais ce seront vos yeux qui brûleront de satisfaction toute physique à l’ouverture : dix double-pages vous plongent dans l’univers de Van Gogh. Tubes de laques géranium, carnets de croquis, matériel de dessin, coffre de peinture avec ses tubes, palette (sublime explosion de couleurs), plumes à dessiner et enfin gros plan sur une partie de l’Autoportrait devant le chevalet.

 

Et dire qu’il n’aura fallu que dix ans de questionnements pour que Vincent Van Gogh se révèle l’artiste d’exception dont la vie et l’œuvre fascinent toujours autant… Van Gogh à l’œuvre raconte comment il s’est approprié son métier, restant au début dans les pas de ses semblables, mais à son rythme, s’imposant une discipline de fer pour faire progresser ses aptitudes techniques, n’hésitant pas à poursuivre des expériences systématiques sur divers matériaux et acceptant de se laisser inspirer par d’autres.

 

En quatre chapitres, Marije Vellekoop (conservatrice des dessins et estampes au Van Gogh Museum) vous raconte comment un jeune peintre est devenu un « faiseur d’art », tout en vous expliquant par le détail la genèse de ses dessins et de ses tableaux. Elle passe en revue les ateliers successifs de l’artiste, les manuels qu’il consultait, ses matériaux et ses techniques, sans oublier les outils dont il se servait… La dernière partie de l’ouvrage fait apparaître les aspects techniques de sa méthode de travail comme l’utilisation presque systématique du cadre à perspective, le réemploi de toiles, les expériences sur la touche et les coloris…

 

Ce qui frappe d’emblée c’est la qualité du dessin de Van Gogh, une fois encore, tout comme pour Picasso ou Kijno, au tout début il y a la parfaite et totale maîtrise du dessin. Les Bêcheurs (1880) réalisés à la mine de plomb et craie noire sur papier n’ont rien à voir avec ce que l’on a l’habitude de voir, dessins simples au contour marqué. C’est le début de l’apprentissage mais la force et l’âme sont déjà bien présentes tant l’œuvre vit sous nos yeux. Puis un premier paysage en 1881 à la plume et à l’aquarelle expulse déjà le peintre de son rôle de simple dessinateur. On sent qu’il y a quelque chose qui bruisse d’impatience dans les doigts de Van Gogh. La Jeune fille en blanc dans un bois réalisé l’année suivante confirme cette tendance à la transformation en train d’opérer. Les traits s’estompent, les couleurs flambent de toutes parts, les fameuses touches sont en embuscades, on est sous le charme d’une œuvre déjà portée à maturité…

 

On suit avec l’impatience d’un détective les différentes options que Van Gogh expérimente dans ses choix de peinture. Avec Toulouse-Lautrec, en 1887, il essaye la peinture à l’essence (que Degas a réintroduite dans les années 1870) et s’attaque aux effets de transparence combinés aux couleurs claires et à la touche systématique propre à des pointillistes tels Seurat et Signac. Van Gogh remplace sa peinture pâteuse par un mélange de lignes minces, de points et de hachures, appliqué à l’aide de pinceaux fins et de peinture diluée. On songe à de l’aquarelle.

Mais après s’être jeté corps et âme dans cette nouvelle technique, il l’abandonne en mai 1887 et revient à la touche vigoureuse qui lui convient mieux et qui s’accorde davantage à son caractère.

 

On y apprend l’existence d’influences japonaises que le Pont sous la pluie (1887), copie d’une estampe de Hiroshige (1857) souligne à merveille. Puis très vite retour aux natures mortes à l’aide de… pelotes de laine dont les fils permettaient à Van Gogh de tester des combinaisons de couleurs pour ses tableaux. Et le fameux autoportrait, dernier tableau peint à Paris avant son départ pour le sud de la France. Une toile aux couleurs modernes pour un artiste moderne : usage de pinceaux aux poils coupés, éclaboussures plus épaisses, utilisation marquée des couleurs primaires.

 

Mais sitôt arrivé en Arles, c’est la douche froide : plus de deux semaines de neige. Cela ne le rebute pas pour autant, il travaille des sujets d’intérieur avant de pouvoir immortaliser les vergers (Verger de Provence, 1888, mine de plomb, plume de roseau et encre brune ; Le verger blanc, 1888, huile sur toile). S’en suivront les épisodes de la Chambre, le projet d’atelier du Midi avec Gauguin, leur dispute à quelques jours de Noël, la crise de démence qui offrira un bout d’oreille à la postérité ; et une œuvre toujours aussi extraordinaire.

 

François Xavier

 

Leon Jansen & Marije Vellekoop, Van Gogh à l’œuvre, 350 illustrations, 245 x 293, relié sous jaquette, Bruxelles, Fonds Mercator, 304 p. – 54,95 €

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