(re)Voir Renoir à Martigny… et un peu plus

Pour cette nouvelle saison estivale, la Fondation Pierre Gianadda ne vous  propose pas une seule exposition mais… trois. Pas moins. Accompagnant l’impressionnante rétrospective Renoir qui vous offre plus d’une centaine de tableaux venus du monde entier (États-Unis, France, Brésil, Russie…), dont cinquante-cinq sont issus de collections privées, et certains montrés pour la première fois – dont un en provenance du Palais princier de Monaco, jamais exposé depuis sa sortie de l’atelier du peintre –, vous aurez également le bonheur de vous plonger dans la poésie des photographies de Michel Darbellay (Sculptures en lumière) qui a su saisir toute la majesté des sculptures qui ornent les jardins au fil des quatre saisons, jouant à cache-cache avec le soleil, la neige, les ombres ; et enfin, dans le Foyer, vous pourrez découvrir les vitraux de Hans Erni en miroir de ceux réalisés par le Père Kim En Joong, respectivement pour la chapelle protestante et la chapelle de la Bâtiaz.

 

En pénétrant dans l’étrange vaisseau que forme la Fondation, soucoupe de béton posée au cœur d’un quartier résidentiel, vous vous poserez sans doute cette question : pourquoi personne n’a eu le courage de sauver le soldat Renoir ? Pourquoi aucun commissaire d’exposition n’a-t-il pas ressenti cette étincelle qui, à vous, dès le premier regard, a illuminé votre esprit ? Il faut libérer l’œuvre de ces immondes cadres !! Certains petits tableaux, comme ces paysages prêtés par la villa Ephrussi de Rothschild, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, ont un cadre quasiment de la même taille, d’une épaisseur, d’une lourdeur, d’une pompe repoussantes. Cette morgue ornementée, dorée, vulgaire et insupportable de l’époque n’a plus de raison d’être : l’exemple du nu, reproduit sur le menu du dîner de gala qui clôtura la soirée du vernissage, démontra fort à propos la justesse de ma démonstration (que confirment également les très belles reproductions du catalogue). Tout le monde s’accorda à voir une autre peinture, plus aérienne, fine, sensuelle. Libérée, oui, de cette écrasante et mortuaire présence qui pèse tant sur les peintures de Renoir qui méritent, au grand maximum, une caisse américaine. Et sans parler des œuvres sous verre qui ternissent et limitent les effets de perspective si particuliers et si admirables. Bref, il faut libérer l’œuvre de Renoir au plus vite…

 

Nonobstant, ne gâchez pas votre plaisir en oubliant de faire le détour car cette exposition a une particularité : elle embrasse le parcours du peintre dans son ensemble. Au diable les précieux experts qui vous diront que Renoir, oui, certes, mais alors telle ou telle période seulement ! Non, ici vous êtes dans la réalité de la peinture, de la vie d’un peintre exceptionnel. Vous découvrirez ses premières armes (avec une peinture sur porcelaine, du temps où, apprenti, à seize ans, il peignait des assiettes) puis ses premières commandes (des portraits de famille de riches bourgeois) et ses premiers paysages, tableaux d’une grande poésie, éclairée d’un réalisme fulgurant tout en le transformant dans une harmonie voluptueuse. Des tableaux décoratifs, selon le vœu même du peintre qui les vouait à décorer les intérieurs, donc de taille modeste, à voir de près, pour épier le moindre souffle, chant d’oiseau, sifflement dans les hautes herbes, bruissement d’un cours d’eau…

 

Peintures de l’intime et donc, aussi, de la femme, de ces femmes qui accompagnèrent l’œuvre et l’homme, tant lui aussi, tout Renoir qu’il était en train de devenir, était foudroyé par le sel du désir lorsqu’il était en présence d’une belle et jeune femme. Sa vie privée n’est pas exempte de tout reproche, mais ses détours immoraux, en partie explicables par les contraintes de l’époque, auront tout le moins, si ce n’est de ses contemporains, fait le bonheur de millions d’yeux qui, depuis, se posent délicatement sur ses portraits, ses gorges, épaules, ventres, dos, fesses peints avec douceur, nostalgie, amour et désespoir, aussi, de voir ce temps ingrat dénaturer la beauté incarnée. On sent dans la délicatesse du trait que le pinceau imprima sur la toile, toute cette déchéance à venir, cette folie incompatible avec le désir des hommes de chérir cette jeunesse qui suinte par tous les pores et jamais ne s’arrête de les fuir. Rattrapé aussi par la maladie qui lui enferma les doigts, Renoir trafiqua ses pinceaux pour continuer, avec mille astuces, à déposer, touche après touche, ces éclats de vie dans la couleur magnifiée, jaculant ses dernières pincées de plaisir sur la rémanence d’un souvenir, recouvrant, année après année, la douce posture du jeune homme amoureux… pour mieux se crucifier dans un réalisme sans complaisance dès lors qu’il peignait un autoportrait, comme une gifle qu’il se serait assénée après trop de bonheur virtuel à peindre la beauté perdue, se forçant à convoquer le réel dans un dernier éclair de lucidité, avant de repartir derechef vers les courbes chatoyantes de ces jeunes demoiselles dévêtues…

 

François Xavier

 

Daniel Marchesseau (sous la direction de), Revoir Renoir, contributions de Cécile Bertran, Augustin de Butler, Caroline Durand-Ruel Godfroy, Flavie Durand-Ruel Mouraux, Lukas Gloor, Marc Le Cœur, Sylvie Patry, Pierre Wittmer, 240 x 220, plus d’une centaine de reproductions couleur, Fondation Pierre Gianadda, juin 2014, 340 p. – 37,50 €

 

Jean-Henry Papilloud, Sophia Cantinotti, Sculptures en lumière, 240 x 220, plus de cent-cinquante photographies couleur, Fondation Pierre Gianadda, juin 2014, 220 p. – 30,00 €

 

FONDATION PIERRE GIANADDA
Rue du Forum 59 - 1920 Martigny, Suisse
Tel: + 41 27 722 39 78
site: www.gianadda.ch / Contact: info@gianadda.ch

COMMENT S'Y RENDRE ?
Correspondance gare CFF par bus (arrêt Fondation Pierre Gianadda) ou train Martigny-Orsières (gare Martigny-Bourg).
Train panoramique Chamonix - Mont-Blanc - Châtelard – Martigny : 1 h 45
Paris - Lausanne (TGV) – Martigny : 5 h

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