Vladimir Velickovic : le choix du noir

Il est né dans un pays qui s’appelait la Yougoslavie… et qui n’existe plus. Le ton est donné : succession de clichés de l’atelier, de tableaux, de brouillons puis portrait en noir & blanc et retour à la couleur pour suivre l’artiste à l’œuvre porté par la subtile et nostalgique musique de Thomas Enhco, douce balade au piano qui marque le tempo de la lenteur dans la continuité de la peinture en réalité de métamorphoses.
Le geste est précis, ample, vif ; la main repasse, avec ou sans chiffon, sur la peinture encore fraîche pour mieux partager avec elle son mariage définitif dans l’alchimie qui va la lier à la toile pour des siècles les siècles.
Plume à encre de Chine, voire doigts en instrument imprévisible pour mieux donner de la chair – et donc du volume au visage – Vladimir Velickovic nous rappelle Francis Bacon, et ce n’est certainement pas un hasard, puisque ce dernier, lors de l’un de ses derniers entretiens avec un journaliste français, à la question d’un après, d’une génération à venir, de qui, répondit sans la moindre hésitation, personne… sauf Velickovic.



Rares sont ces instants capturés dans l’intimité de l’atelier, remerciements sont donc à présenter au peintre qui a accepté cette violation du sanctuaire car la caméra de François Catonné le suit au plus près, nous offrant – outre la sublime qualité de l’image – une information sur la technique employée, les coulures à grands jets de produit dilué, la largeur des pinceaux, les brosses, les chiffons, les encres, les doigts, la tranche de la main, etc. preuves irréfutables que peintre est un métier physique. Si Céline mettait sa peau sur la table en écrivant, Velickovic y investit aussi toute sa capacité corporelle afin de retranscrire l’intégralité de son imaginaire.

 



Malgré ce monde violent et destructeur, la peinture que l’on a devant soi n’est pas uniquement morbide, seulement guerrière, mais sujette à réflexions, projections et transpositions pour mieux s’extraire de cette gangue collante à nos semelles de vent et ainsi pouvoir, malgré la pesanteur effroyable de la conscience, nous envoler dans le sfumato de ces extraordinaires ciels d’après… Et qu’importe qui ou quoi est à l’origine de cette apocalypse qui rappelle les corbeaux dans le ciel gris noir rouge ocre, le sang bouillonne en nous, regardeur impénitent, insolent pinailleur d’imprécations futiles quand il n’y a rien d’autre à dire que le silence de la contemplation. Tout comme la grande musique, la peinture de Velickovic se regarde dans le recueillement pour aller puiser au fond de soi l’indispensable émotion qui soutiendra le corps défaillant devant tant de sensations contradictoires mises à nues.

 

Le second film, le Grand Dessin,  impose la catharsis dans le silence gratté de l’atelier, troublé par le feulement de la plume qui imprime ses formes, dessins du dessin en devenir, immense, gigantesque banquise cartonnée posée à plat sur laquelle l’artiste se penche, glisse, se repend, avance, hésite, revient et défriche l’immensité du rien pour la nourrir d’une profusion d’éléments, carte, non pas du Tendre, mais plutôt tableau de Mendeleïev de l’espèce vivante, animaux et hommes entremêlés, bric-à-brac des possibles en quête d’une harmonie, capharnaüm mémoriel d’une superposition de suggestions pour que cesse, à la fin, l’idée de chaos, et tenter d’imposer ce nouveau Frankestein de papier comme dieu universel.


Rarement caméra aura été aussi proche de son sujet, zoomant sur cette plume vivace qui cingle son encre dans des saccades legato, construisant par étapes l’œuvre et nous offrant une complicité et une présence invisible à côté de l’artiste.

Par la magie de la chose en train de se faire, témoin singulier, nous ne pouvons que retenir notre souffle devant la grâce du geste appuyé de l’artiste.

 

François Xavier

 

François Catonné, Vladimir Velickovic, le choix du Noir, (52mn) suivi de Vladimir Velickovic, le Grand Dessin, (26mn), format 16/9, musique de Thomas Enhco, langue française (option de sous-titrage en anglais et/ou en serbe), bonus photos, DVD / PAL, novembre 2014

Plus d'infos, se procurer le DVD :
www.vladimir-velickovic-lefilm.com

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Projection ce samedi 30 janvier 2016 à 17h30, à l'Auditorium du Louvre (Paris) des 2 films de François Catonné en présence du peintre et de Michel Ciment qui l’'interrogera.