Immobiles
et en même temps robustes, durs mais presque translucides, les figures masculines
d’Antonis Giakoumakis se plongent dans l’ineffable. Or, malgré le geste expressionniste
fort intense et les couleurs obscures qui prédominent sur la toile, ces visages d' hommes aux traits indistincts ou ces bustes masculins dont les mains
sont découpées violemment, s’imposent par leur silence intime. En d’autres mots,
ce que la technique rend explicite chez l’artiste, l’intériorité des figures
dépeintes l’efface à l’instant pour le rendre implicite. Le choix conscient du
peintre de refuser de donner un titre à cette nouvelle unité de travail
y en avait mis déjà l’accent ; “sans titre” dit-il ; c'est-à-dire,
sans aucun autre commentaire ni de sa part ni de ses portraits.
Et
la question qui se pose est évidente : pourquoi l’homme de Giakoumakis se tait-il donc? En fait, ce jeu particulier d’équilibre, ce contrepoint
entre le dit et le latent ne signifie pas que l’homme de Giakoumakis se trouve
dans un malaise dans les paroles ni qu’il lui manque d’éloquence. Il ne
signifie non plus qu’il est perdu ou errant. Non. Le silence devient pour lui
le véhicule indispensable pour manifester les préoccupations qui le tourmentent. Il
n’a pas besoin de crier pour déclarer son identité. Dans l’anonymat de la foule,
lui, il reste consciemment immobile et silencieux comme tous les exclus, les
solitaires, les oubliés, les apatrides, les parias d’une société qui les rejette
constamment, mais qui, eux, ne cessent jamais la quête personnelle d’un
talisman d’immortalité. L’homme de Giakoumakis est prêt à franchir toute
frontière qui le limite, à couper toute chaine qui le rend esclave, à se
libérer de toute contrainte, de toute convention qui lui prive le statut d’un être
libre. Il est toujours en attente. Pour lui, la création est la seule forme de
lutter. Ces propres armes, si elles se sont bien cachées, sont visibles grâce
à la transparence des portraits ; c’est l’esprit que l’artiste place dans la matière dense et massive comme une boule de fer dans la tête et l’âme en forme d’épée dans la poitrine. Dans cette solitude
silencieuse du combattant, « rien n’existe plus de déclarer, seule une
attente, chacun la vit tout seul », comme l’affirment les vers de Charles
Bukowski.
1 commentaire
bonjour, pourriez-vous lier votre article à un livre ? une expo ?