André Derain, le conquérant flamboyant

Fauve, cubiste, classique, moderne, révolutionnaire qui choisit le retour à l’ordre, passé de la bourgade de Chatou au château de Parouzeau et de Londres à Chambourcy, qui est exactement Derain ? A quel mouvement rattacher - si cela a un sens - cet infatigable travailleur qui n’a eu de cesse de se tailler une place au milieu de ses contradictions et en s’efforçant de dompter cette force qui l’animait ? Où se déroule en priorité la vie de ce promeneur épris de voyages? Soucieux de son indépendance, se sentant et se voulant peintre avant tout, longtemps lié à Vlaminck qui s’incline devant sa « curiosité sans cesse en émoi » et qui écrira : «… il était attiré par tout ce qui pouvait être un départ et, de tous les hommes que j’ai connus, c’était l’un des plus aptes à tout sentir, à tout comprendre, un des êtres les plus intelligents qu’il m’ait été donné de rencontrer sur ma route », Derain semble difficile à suivre, en constante évolution, changeant fréquemment de lieu et de méthode. Apollinaire pour sa part note que son style inclassable est « empreint de cette grandeur expressive que l’on pourrait dire antique ». Quant à Giacometti, il disait que toutes les toiles de Derain « l’ont arrêté » et l’ont forcé à regarder longuement les bonnes comme les mauvaises. Comment définir la manière et l’itinéraire de cet artiste rigoureux et fantaisiste qui estimait qu’ « il est ridicule de vouloir adopter une attitude » ?

 

 

André Derain, « petit bourgeois devenu grand », parce qu’il était admirateur de Cézanne tout autant que de Corot, a d’abord fait le lien entre tradition et modernité. Il a rencontré ou fréquenté les plus grands maîtres de son époque, Matisse, Picasso avec lequel Apollinaire avait favorisé les bonnes relations, Braque, Friesz, Van Dongen, Bonnard, Brancusi, Chagall. Il est resté lui-même et s’est ouvert aux influences extérieures tout en cherchant sa voie, une voie qui peu à peu lui a valu une reconnaissance internationale comme en témoignent entre autres les expositions de Londres, Berlin, New York, Munich, Bâle, avec l’appui bénéfique de son marchand, Kahnweiler. 



Cet homme « élancé mais robuste », tourmenté par la fuite du temps mais jouissant des bonheurs de la vie, a été un combattant courageux pendant sa longue période de guerre. Curieusement, pied de nez à respectabilité, il se déguisa en Louis XIV ainsi que le montre une photo de 1925, prenant une pose aussi royale que facétieuse. Il collectionna avec une égale passion les tableaux et les voitures, les éditions de prix et les objets rares. Sculpteur lui-même, il aimait les sculptures africaines et appréciait les bronzes de la Renaissance. « Trois ventes aux enchères furent nécessaires pour écouler cette collection », après sa mort en 1954. Il a peint des nus aux modelés admirables, des paysages aux rythmes délicats à la fois libres et structurés envers lesquels son intérêt évoluera souvent, reflétant ses différents états d’esprit, de la joie à la tristesse voire l’angoisse. Mais aussi des natures mortes ternes, sans aspérités suffisantes pour les rendre attrayantes.

 

 

La vitalité de Derain affleure sur ses toiles, son caractère puissant le pousse à explorer toutes les techniques, à tenter d’autres moyens d’expression, à se renouveler en permanence. Cette progression et ces retours peuvent donner l’impression que son œuvre manque d’unité. Il est vrai qu’entre ses tableaux londoniens des années 1905-1906 qui renvoient une vive luminosité et l’agitation de la cité anglaise et ses paysages très voire trop construits et appliqués de la période 1920-1930, les écarts sont surprenants et décevants. 



En fait, tout au long de sa carrière, Derain a tenté de maîtriser cet élément essentiel de la composition qu’est l’éclairage, tantôt dématérialisant les objets et rejoignant par-là l’abstraction, tantôt leur assurant une présence presque architecturée, résolument figurative. Rappelons qu’à ses débuts, il avait copié au Louvre un panneau de Biagio d’Antonio, un primitif italien, représentant le Christ portant sa croix. Qui n’a en mémoire certains de ses tableaux célèbres comme Arlequin et Pierrot (1924), les portraits d’Iturrino et de Madame Paul Guillaume, ravissant visage qui se découpe sous son vaste chapeau.       

 

 

Devant cet homme multiple et d’une pièce, « qui doute de tout et d’abord de lui-même », l’auteur, reconnaissant les difficultés d’aborder ce personnage qui « avance masqué », a choisi, ce qui est un sage procédé permettant d’entrainer le lecteur dans une aventure réjouissante, de le suivre en « reconstituant son cheminement » presque au quotidien, retissant son travail d’artiste avec les fils de l’existence. Ample défi relevé, dont il faut saluer la qualité et la maîtrise tout au long de cet important volume, agrémenté parmi les nombreuses reproductions des œuvres, de photos qui apportent ce cachet du vécu indispensable pour une telle biographie. A la fin de chacun des chapitres, les notes précisent les sources ou complètent un aspect abordé dans les pages précédentes. Se lisant avec une facilité qui n’exclut pas l’érudition, ces pages constituent le bon moyen d’aborder et de comprendre ce peintre de la simplicité et de la virtuosité.

 

Dominique Vergnon

 

 

Michel Charzat, André Derain, le titan foudroyé, Hazan, 25, 8x19, 5 cm, 384 pages, 195 illustrations, à paraître en septembre 2015, 39 euros

 

 

 

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