Né le 7 mars 1872 à
Amersfoort, ancienne cité médiévale, d’une famille imprégnée d’esthétique et de
religion, Piet Mondrian sait tout jeune qu’il veut être peintre. Son père
dessine, son oncle Frits peint aussi et lui dévoile les attraits de la peinture
à l’huile. Un de ses proches amis, Simon Maris, fils et neveu de peintre, est
également peintre. Prenant le relais de La Haye, Amsterdam s’impose au début de
ce nouveau siècle comme un creuset artistique. Ses débuts sont laborieux. « A
l’âge de 22 ans, j’ai commencé une période bien difficile. Pour gagner ma vie,
j’ai fait des dessins bactériologiques destinés à illustrer des livres ou à
figurer dans des salles de classe…C’était un exercice de corde raide ». L’atelier
qu’il occupe en 1903 Rembrandtplein est modeste, chauffé par un poêle situé au
centre de la pièce. Celui de Sarphatipark n’est guère plus opulent, à peine meublé.
Quant à l’atelier de la rue du Départ à Paris d’où il verra ces façades
d’immeubles qu’il croque à la mine de plomb (1914) ou qui lui inspirent ces
plans de briques colorées, il sera vidé de tout encombrement superflu,
strictement blanc, « un intérieur minimaliste où tout est à sa place,
impeccablement rangé, un lieu intime qui s’articule autour d’une logique comme
une réponse à cette lancinante question d’équilibre secret entre forme et
couleurs ».
Mondrian travaille sans
relâche, il sera toujours attentif « aux interactions entre les éléments » qui
mènent à l’élaboration « d’une bonne et belle œuvre » et attaché à cette double
concordance entre « dosage des couleurs et harmonie des lignes». Il va d’abord
peindre sur le motif, que ce soit au bord de la petite rivière Gein, des quais
amstellodamois ou de la vallée du Rhin. Il a une palette ample, protéiforme,
constamment en quête de renouvellement. Les touches sont parfois vigoureuses,
parfois effleurées. « Il me semble que la clarté des idées doit marcher de
front avec la clarté de la technique ». Dans une lettre du 26 juin 1933 adressée
à l’architecte Alfred Roth, il précise encore son opinion : « Oui,
c’est cela, la technique pure, l’art pur ! Tout est là-dedans et l’accord
est possible, mais dur à trouver ».
Une partie de la critique
salue en lui un peintre qui « détonne », une autre ne manque pas de
signaler « les visions d’un individu détraqué ». Plus perspicace, Guillaume
Apollinaire applaudit et loue sa « personnalité intacte ». La
théosophie est entrée dans la vie de Mondrian. Cette antique doctrine que
certains philosophes grecs affectionnaient, reformulée en 1875 par Helena
Blavatsky, « personnage déroutant et extravagant », attire l’artiste qui
décèle tôt combien elle rejoint ses propres intuitions. Dans son atelier, il a accroché
une photo de cette voyageuse inlassable qui mourut à Londres en 1891. « La
théosophie fait valoir en chaque noyau de vie une dynamique capable de refléter
l’abstraction du cosmos entier…Les secrets du vivant et des forces élémentaires
sont dorénavant contenus dans une plastique abstraite ».
Cette volonté de pureté
et d’unité pousse Mondrian à prendre ses distances avec le cubisme, dont il se
sait certes redevable mais qui, selon lui, n’a pas avancé assez loin sa
réflexion. Il veut aller au-delà, en direction d’un équilibre absolu, parfait,
qui soit synthèse et conclusion. L’art
abstrait pour lui n’a pas de lien à avoir avec la perception naturelle du monde
et l’artiste. Ayant quitté Paris où il se sent menacé par le nazisme et après un séjour à
Londres, en proie aux bombardements, Piet Mondrian s’embarque pour les
Etats-Unis le 23 septembre 1940.
Les quatre années passées à New York
apportent au peintre une manière de renouveau dans son activité. Il explore l’introduction
des trois couleurs primaires, non mélangées ni sur la toile ni dans les
tonalités. Cela lui assure définitivement la célébrité. Qui ne connaît ces
lignes noires plus ou moins épaisses, ces carrés rouges, bleus et jaunes disposés
selon des rythmes alternatifs ? Tantôt la trame part d’un bord,
s’intensifie et se regroupe jusqu’à l’autre extrémité du tableau, tantôt elle édifie
une échelle et laisse, avant de reprendre plus haut, des marges à des bandes
blanches doucement soutenues de gris. Ces quadrillages et ces croisements
obéissent toujours à des cadences complexes, générant des interactions et se
révèlent comme autant d’armatures intelligentes. « Tout se compose par relation
et réciprocité. La couleur n'existe que par l'autre couleur, la dimension par
l'autre dimension, il n'y a de position que par opposition à une autre position
». Langage épuré, « esthétique purifiée », limpidité et rigueur, le
vide pour plénitude. Chacun de ses tableaux était une « résolution »,
le fruit d’une décision mûrie. Après lui, « pas d’imitateurs, mais des
suiveurs ». Il n’a pas tenté d’être un chef d’école. Pour cela, il demeure
intemporel. « Pour ma part, je n’appartiens ni au présent ni à l’avenir,
j’éprouve l’esprit du temps dans l’un et dans l’autre, comme en moi-même »,
dira-t-il.
Dans ce livre illustré
non seulement par des reproductions de tableaux mais des photographies
originales, le lecteur suit le travail de l’artiste dans ses ateliers successifs.
Les auteurs l’emmènent dans les cinq lieux fondateurs de son œuvre, avec comme
accompagnement les articles de la revue mensuelle De Stijl. C’est vraiment un voyage visuel dans l’existence de cet
homme qui n’avait « que le désir de créer ».
Dominique Vergnon
Sous la direction de Cees
W. de Jong, Les ateliers de Mondrian, Amsterdam,
Laren, Paris, Londres, New York, Hazan, 27x21 cm, 240 pages, 225
illustrations, septembre 2015, 38 euros.
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