Les riches heures de Beauvais

Dans le Livre III des Géorgiques, Virgile évoque le « tempus fugit » qui égalise tôt ou tard toutes les existences humaines. Pour contrer cette victoire du temps, tenter de le retenir, nous voilà renvoyés à un autre poème, les Odes d’Horace cette fois, qui conseillent le « Carpe diem ». Ce jour est sûr, demain ne l’est pas autant. Ronsard quant à lui, qui l’ignore, nous enjoint de cueillir les roses de l’heure présente. Combien de cadrans solaires portent la célèbre phrase : Omnes feriunt, ultima necat 


Les aiguilles dorées marquent sur le magnifique cadran de l’horloge de la cathédrale de Beauvais le passage régulier des heures qui s’échappent, minute après minute, blessure après blessure jusqu’à la dernière. Au centre du cadran, domine un Christ qui tient dans la main droite un livre sur lequel figurent deux lettres de l’alphabet grec, la première et la dernière. Le compas de la toute durée du monde est là, encadré en quelque sorte par le début de rien et la fin de tout. Autour, comme d’autres repères du chronos évangélique, une couronne d’apôtres. Douze têtes qui sont autant de marques de la lumière du jour donné à l’homme pour travailler. Le solde est pour son repos.

 

L’horloge de la cathédrale de Beauvais, qui se situe dans une chapelle, sur la gauche du transept quand on regarde en direction du chevet, est une de ces merveilles méconnues qu’il faut aller voir comme on va à la découverte d’un trésor. L’audacieuse cathédrale inachevée enferme un joyau. Le meuble, de style romano-byzantin, qui contient l’horloge, est une extraordinaire construction aux dimensions d’une petite chapelle, 12 mètres de haut, plus de 5 de large, presque 3 de profondeur. Avec ses statues de prophètes et de patriarches, ses animaux, l’humanité dans sa diversité qui se répartissent partout, d’étages en étages, de niches en couronnements, au milieu des colonnes, grâce aux 68 automates, l’horloge a la beauté d’un vitrail qui s’animerait. Elle rayonne comme une verrière, elle enseigne comme une rosace. De la Cité céleste au Jugement dernier, aux sons de trompettes, de cloches et d’hymnes, cet univers de bois et de métal, de personnages qui sortent des portes, de disques bleus et or, de planètes et d’étoiles, se met en mouvement, entonnent des louanges à la création.

 

Comme souvent pour les chefs d’œuvre créés par des hommes qui ont pour passion leur métier plus que pour but d’obtenir la renommée, l’auteur de cette merveille absolue est un « pendulier », petit-fils de laboureur, fils de graveur, un expert en astronomie, un grand travailleur. Il s’intéresse à la géométrie, aux combinaisons techniques les plus ardues. La chronométrie n’a pas de secrets pour lui. De plus, ayant été nommé ingénieur des chemins de fer, il connaît par cœur les problèmes de signalisation des trains. Il monte son entreprise, il a de l’expérience. Son nom est déjà une espèce de brevet de bonne conduite. Il s’appelle Auguste-Lucien Vérité. Il est né en 1806, il meurt en 1887. Il va concevoir une  machine extraordinaire, mettre en branle une mécanique fantastique, lancer un calendrier exceptionnel, agencer les horaires des marées avec le passage des phases de la lune, allier les éclipses avec l’affichage des saisons. Un balancier de 45 kilos fait parfaitement tourner le plus gros comme le plus petit des rouages, règle les tringles, fait avancer les poids, signale les fêtes. De l’infini cosmique aux signes du zodiaque, les équations les plus savantes de la marche de l’univers ont été résolues. Les 90 000 pièces fonctionnent sans erreur comme un jouet magistral fabriqué par la science et l’intelligence. Tout cela dans une esthétique absolue des formes et des couleurs.

 

L’horloge a été restaurée, mais elle garde son enchantement pour ainsi dire médiéval ! Cet ouvrage dont la qualité convient bien à cet ensemble monumental unique montre notamment la complexité des mécanismes. Les croquis, les plans, les explications aident à mieux saisir les incroyables difficultés qu’il a fallu vaincre pour que l’horloge soit juste. Il est intéressant de voir également les notes de travail de Vérité. Une lecture qui invite à aller voir et écouter comment l’éternité s’installe dans le quotidien.

 

Dominique Vergnon

 

Olivier de Mercey, Jean-Paul Crabbe, Christian Mangé, L’Heure de Vérité, l’horloge astronomique de la cathédrale de Beauvais, éditions Monelle Hayot, 24 x 28 cm, 200 pages, 250 illustrations, avril 2016, 59 euros. 

 

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