Diderot
disait que « les beautés ont dans les arts le même fondement que les vérités
dans la philosophie ». Stendhal lui répondait que « La beauté n’est jamais, ce me semble,
qu’une promesse de bonheur ». Ce livre, par le double détour des mots et des images,
invite à regarder les multiples formes de la beauté, voir comment elle
s’exprime, comment elle entre dans les cœurs, comment elle reste dans la mémoire. Comment la qualifier,
l’identifier, la juger ? Avec à-propos l’auteur rappelle en exergue que
pour Marcel Duchamp « c’est le regardeur qui fait le tableau ».
Peut-être est-ce également lui qui fait la beauté, sa propre beauté ? Les
canons varient, évoluent, se contredisent parfois. Le beau idéal des Anciens
n’est plus celui des Modernes. La beauté peut paraître inutile aux yeux de certains,
personne cependant ne pourrait s’en passer. Elle « ne s’attrape ni se
retient, elle jaillit puis s’efface comme par magie » note Sophie
Chauveau. Plus
que la perfection, mieux que l’excellence qui pour exister imposent d’en
repousser toujours les limites, la beauté appartient à l’instant, celui que
Roland Barthes conseille de saisir.
Pour nous en donner
une idée, Sophie Chauveau est allée la trouver dans les deux sphères de l’art
qui sont des univers infinis, les textes écrits et les formes peintes, en
élisant des thèmes courants mais essentiels : les vanités et les paysages,
la chair et la piété, le désir et le rêve. En miroir, devenant autant de
reflets et de transpositions, des vers et des pensées. Le miracle est qu’au-delà
des âges et des lieux, les convergences se font presque naturelles, comme si
derrière les différences, les révérences saluaient ce qui est la part d’absolu
et la dose d’éternité qui résident au secret de chaque être, révélée par les
créateurs qui l’ont approchée sans doute davantage, qu’ils se nomment Eluard, Verlaine,
Fra Angelico, Braque. Avec Manet, Corot, Renoir, elle invite à la voir dans le
corps et la nature. Avec Bosch, Hans Bellmer, James Drake, elle attire
l’attention sur ses tortures possibles. Il y a une philosophie du beau, dans le
ciel, dans la cité, Joachim Patinir et Mantegna le prouvent. Il existe aussi le
bizarre, l’inquiétant, le totalitarisme, Henri Rousseau, Le Caravage et Renato
Bertelli s’en font les témoins. Citations ou longs extraits, les grands noms qui
demeurent côtoient les petits qui s’oublient, Baudelaire et Camus ici,
Christian Bobin et Joseph Delteil là. Mais finalement, chacun apporte une
pierre, grande ou petite, à l’édifice.
Interviennent ces
notions complexes et indispensables que sont l’ordre, la proportion,
l’harmonie, la grandeur, les accords, et la justesse chère à Platon, tout en
somme ce qui suscite l’émotion, l’admiration, l’élévation de cette « satisfaction désintéressée et
libre » dont parlait Kant. Devant la beauté, qui passe fugitive ou demeure
durable, l’esprit est comme soustrait au temps. Les passages choisis autant que
la contemplation des œuvres sélectionnées ouvrent
l’éventail de ces expériences esthétiques que l’œil et l’intelligence peuvent
partager. Les renvois, les rapprochements, les recoupements proposés sont des
offres certes personnelles mais entraînent
vers une « exploration » qui pourrait se poursuivre davantage. S’il
est vrai que la beauté ne se démontre pas, peut-elle du moins être doucement
convoquée, approchée, voire selon le terme convenu, apprivoisée.
Etant à la fois comédienne et
metteur en scène, Sophie Chauveau se place des deux cotés du rideau de ce grand
théâtre du monde. Elle joue ainsi dans son titre avec le « D »
majuscule, qui sert de dénominateur commun à ses deux voies. Selon ses
critères, elle juge et nous suivons avec plaisir ses suggestions. L’abstraction
que représente en soi la beauté, grâce à l’art de peindre et l’art d’écrire, se
fait évidence.
Dominique
Vergnon
Sophie Chauveau, (D)écrire la beauté, Omnibus, 255
pages, nombreuses illustrations, 23x23 cm, octobre 2016, 39,90 euros.
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