"Nouvelle histoire de la Révolution française", la grande histoire

Ecrire l’histoire de la Révolution française constitue un défi presque insurmontable tant les sources sont abondantes, tant les querelles historiographiques - et politiques - sont à vif sur cet évènement fondateur de la modernité, en France et en Europe. Après Jules Michelet, Louis Blanc, Albert Soboul et François Furet, Jean-Clément Martin relève le gant et pose donc sa pierre à l’édifice. L’adjectif « nouvelle » ajoute une dimension supplémentaire à son entreprise : personne ne pourra dire que Martin manque d’ambition !

 

Une brillante synthèse

 

L’ouvrage de Jean-Clément Martin a d’abord une visée synthétique. Universitaire, l’auteur écrit dans un style rigoureux, clair et argumenté. Il sait exposer de manière concise chaque évènement, présenter en quelques mots bien choisis chaque acteur. En bon pédagogue, Martin sait transmettre sa passion de l’histoire.

 

Cette ambition pédagogique ne l’empêche pas de prendre part aux débats historiographiques sur la période. A l’instar de François Furet - le grand « démolisseur » de l’interprétation marxiste de la Révolution Française -, il reprend une périodisation « longue » de la Révolution, identifiant ses racines dans le cours du XVIIIe siècle : le conflit avec le parlement de Paris, la querelle avec les jansénistes et la désacralisation progressive de la personne du roi - Louis XV, par la place accordée à ses favorites, y a largement contribué - en sont les exemples les plus frappants. Martin, marchant aussi sur les traces de François Bluche, fait débuter la Révolution en 1771 quand Maupéou, avec le soutien d’un Louis XV, enfin résolu à réformer, brise la résistance parlementaire, réforme la justice, s’attaque aux privilèges et à la vénalité des offices. Pour la première fois, Louis XV fait figure de despote éclairé, applaudi par Voltaire.

 

Mais cet élan réformateur, cette Révolution par le haut, prend fin à la mort de Louis XV, lorsque son successeur Louis XVI restaure les parlements. Cependant, le nouveau roi, intelligent mais maladroit, n’abandonne pas les réformes. En fait, Louis XVI, victime des intrigues des coteries, de son caractère parfois velléitaire, est parfaitement conscient des problèmes et va envisager toutes les options : le libéralisme physiocrate de Turgot, les spéculations de Necker, l’assemblée des notables de Calonne, voire la convocation des Etats généraux. On a souvent vilipendé les élites pré-révolutionnaires mais on ne peut leur faire reproche d’avoir été aveugles. Par contre, ce qui rend aussi possible la Révolution, c’est l’effondrement de l’autorité de l’Etat.

 

 

La réhabilitation de l’évènement

 

Ce que réussit finalement l’auteur est de nous faire prendre conscience de l’importance de l’évènement : 1789 surprend tout le monde, y compris les grandes figures révolutionnaires. Ici pas de complot, les journées révolutionnaires ont plus à voir avec la psychologie des foules  qu’avec l’influence de Marat - représentatif de ces « Rousseau du ruisseau », bien analysés par Roger Chartier dans les origines culturelles de la Révolution Française - ou de Mirabeau. Les députés de la future assemblée nationale donnent le plus souvent l’impression d’avoir été à la remorque de l’évènement. Car la société française bouillonne littéralement, travaillée par des conflits religieux - jansénistes contre gallicans, catholiques contre protestants, dans une époque marquée par une lente déchristianisation -, attisés par la constitution civile du clergé, par des conflits économiques et des luttes de classe - sur lesquels viennent parfois se greffer les antagonismes religieux comme à Nîmes, entre petit peuple catholique et bourgeoisie protestante -, et finalement par des évolutions structurelles - la naissance d’un espace public détaché de la sphère religieuse, signalée par Jürgen Habermas dans son ouvrage éponyme.

 

Jean-Clément Martin en arrive aussi au constat que, si la monarchie absolue prend fin en 1789, le royalisme reste bien vivant. Les cahiers de doléance sont plein de références positives au Roi, les députés proclament aussi leur attachement à sa personne (ils attendent clairement de lui qu’il prenne la tête de la Révolution). Le Roi est plus qu’un symbole, même si la Révolution instaure une dichotomie entre le corps du Roi et la Nation (qui s’incarnait préalablement en lui). Le conflit de légitimité qui en découle, qui ne sera pas résolu par les constituants, est une des causes de Varennes, puis de la chute de la Monarchie. Pour autant, l’idée de République est loin d’avoir l’assentiment des élites, encore moins du peuple.

 

1792 : la vraie rupture

 

C’est la déclaration de guerre à l’Autriche, voulue par les girondins et le Roi - double jeu mortel à terme - qui déclenche un processus qui échappe à ses initiateurs. La chute de la monarchie et l’exécution du Roi projettent alors la France dans l’inconnu. Selon Martin, la violence échappe alors au contrôle de l’Etat et de multiples guerres civiles éclatent : la Vendée bien sûr - que l’auteur a très bien analysée dans un autre ouvrage -, l’insurrection fédéraliste aussi. Parallèlement, la surenchère du politique permet au brillant Robespierre de prendre peu à peu l’avantage : son génie sera de se tenir à équidistance de différents groupes tout en désignant périodiquement les ennemis à abattre : girondins - il tiendra pourtant à épargner à beaucoup la guillotine -, les enragés d’Hébert, les amis de Danton. Pourtant, à la lecture des pages consacrées par l’auteur à la Terreur, l’impression de chaos domine. Le pouvoir est aux mains des comités de la Convention qui doit, petit à petit, reprendre le contrôle d’un pays déchiré, dont l’unité a volé en éclats.

 

Après la mort de Robespierre, la stabilité sera l’objectif des conventionnels qui croiront réussir avec la constitution du Directoire. Mais ce régime, qui se veut démocratique - et qui mérite une analyse équilibré loin de son image noire -, se condamne à une guerre permanente à l’extérieur - le pillage de l’Europe permet de nourrir les armées et d’enrichir les fournisseurs du régime, futurs piliers de l’Empire -, et à des coups d’état successifs car les élections favorisent les ennemis du régime, royalistes et jacobins. La solution, ce sera Bonaparte, pour le meilleur et pour le pire.

 

Au final donc, un bien bel ouvrage, même si l’adjectif « nouvelle » est ici galvaudé. En tout cas, Jean-Clément Martin nous livre un ouvrage de référence qui satisfera étudiants, amateurs et curieux.

 

Sylvain Bonnet

 

Jean-Clément Martin, Nouvelle Histoire de la Révolution française, Perrin, octobre 2012, 623 pages, 25 €

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3 commentaires

La révolution française nous laisse sur notre faim. Furet avait tenter de structurer la révolution pour, finalement, laisser courir les psychologies individuelles au gré de sa plume. Plus facile de contrer le marxisme que l'académisme bien pensant. Quant aux "faiblesses" que les historiens reconnaissent aux règnes de Louis XV et de Louis XVI, on fera comme si de telles faiblesses étaient inhérentes à l'époque pré-révolutionnaire. N'y a-til pas un historien moins académique, peut-être moins érudit mais plus "transversal" et plus téméraire pour fournir une trame crédible?   

A quel académisme "bien-pensant" pensez-vous?

Intéressant article Sylvain. Je pense qu'Arturo reproche à Martin de ne pas suffisamment inscrire la Révolution française dans un temps long des révolutions, dans une histoire globale (pas seulement européenne) qui serait moins sévère sur l'état de la monarchie sous Louis XVI. Mais laissons Artur définir ce qu'il entend par "historien académique".