Cosima Wagner, la matriarche

Cette année voit la commémoration du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Pour l’occasion, une avalanche de concerts, d’événements mais aussi de publications est prévue. En matière de livres sur le sujet – et alors que Wagner est déjà réputé comme l’artiste le plus commenté au monde –, les prodromes se sont fait sentir depuis la fin 2012. En attestent par exemple l’étude définitive de Pierre-André Taguieff sur Wagner contre les juifs ou encore la traduction en français, chez Perrin, de la biographie que le spécialiste Oliver Hilmes consacra en 2007 non pas au maître, mais à la maîtresse de  Bayreuth, Cosima Wagner.


L’ouvrage est assez traditionnel dans sa facture. Il suit la chronologie de la (longue) vie de Cosima Wagner, née Liszt. Fille du virtuose hongrois et de l’écrivaine Marie d’Agoult, Cosima baigna d’emblée dans le monde artistique, ce qui ne pouvait que la prédisposer à épouser un créateur, et pas n’importe lequel. Après avoir jeté son dévolu sur le maestro Hans von Bülow, pour un mariage de raison, la jeune femme s’éprend de Wagner. Leur amour ne naît pas d’un coup de foudre (la première impression fut de part et d’autre assez froide) mais d’un mûrissement passionnel qui contribua à consolider leur union et à lui conférer la dimension mythique qu’elle conserve par delà le temps. C’est le regard clair de cette beauté qu’incarnait Cosima qui plane sur Tristan et Iseut et bien d’autres portées de Wagner.


Accompagnant fidèlement son grand amour, Cosima donne l’image d’une force à toute épreuve. Il lui aura fallu en effet bien de la patience pour endurer les revers de fortune, les insuccès et les frustrations du compositeur. Mais sa constance fut payante, et elle assista ensuite aux triomphes de son époux, depuis son adoubement comme artiste absolu par l’illuminé Louis II – qui lui apporta en outre une confortable manne financière – jusqu’à la pose de la première pierre du festpielhaus de Bayreuth.


Puis le 13 février 1883, le rêve vole en éclats. Est-ce, comme on l’a prétendu, un effet d’une énième scène de jalousie liée aux frasques de Wagner ? Toujours est-il que, après une vive discussion, le musicien subit deux crises cardiaques à quelques heures d’intervalle, puis expire sur un banc de la buanderie du Palazzo Vendramin à Venise, après avoir demandé dans un souffle « Ma montre… ». Cosima, détruite par le chagrin, ne se détache plus du cadavre. Elle s’allonge à ses côtés, muette, comme elle le fera sur le cercueil, au jour de l’enterrement de Wagner à la Villa Wahnfried.


Il lui reste 47 ans à vivre. Presque un demi-siècle qu’elle va exclusivement consacrer au culte de son défunt bien-aimé, en devenant la « Maîtresse de la Colline ». Oliver Hilmes élargit alors la perspective et fait coïncider l’histoire de cette veuve grandiose avec celle, tout aussi tourmentée, de l’Allemagne, qui passe d’un Reich à l’autre comme on tombe de Charybde en Scylla. L’essayiste décrit les querelles de succession qui déchirent le clan, mais surtout la récupération de l’héritage wagnérien par les nazis via, comme il l’explique, la transformation du milieu culturel de Bayreuth en cercle politique. Antisémite convaincue, Cosima n’eut pas à se forcer pour encourager son beau-fils, l’Anglais Houston Stewart Chamberlain, à poursuivre ses études wagnériennes en les situant dans une optique raciale.


Le portrait dressé par Oliver Hilmes est tout simplement passionnant. Il éclaire par la bande la stature du génie (dont, au fond, il reste encore bien des choses à apprendre), tout en apportant une nouvelle illustration à l’adage selon lequel, derrière tout grand homme, il y a une femme. Pour le meilleur comme pour le pire, dans ce cas précis…


Frédéric Saenen


Oliver Hilmes, Cosima Wagner. La maîtresse de la colline, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Perrin, octgobre 2012, 380 pages, 24,50 €

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