Histoire mondiale des services secrets, Rémi Kauffer




Percy Kemp, dans son dernier interview donné à Mediapart, parlait de cette période – il en garde une certaine nostalgie - où le renseignement était plus le métier d’un homme ou d’une femme en territoire ennemi que le fruit de l’enregistrement, le vol ou le piratage de machines. À la question, « êtes-vous un espion », il préférait le terme de « maître-espion », celui qui a créé un réseau d’informateurs dont il se sert pour répondre à des questions posées par le souverain, sans trouver de réponses dans le monde « ouvert » de l’information. À cela j’ajouterai au « souverain » le terme de clients quand le renseignement traité a pour source une multitude d’officines dites « de conseil et de sécurité ».

 Cette précision de genres et l’évolution du métier d’espion, ainsi que des mythes et histoires qu’il génère, est tout le challenge de l’Histoire Mondiale des Services Secrets de Rémi Kauffer, « fruit de trente-cinq ans de réflexion sur le sujet », écrit-il, publié chez Perrin. Partant de la pensée que le renseignement informatique de la NSA caricaturé par Snowden n’a pas empêché l’attaque du 11 septembre, ni l’attentat contre Charlie et l’Hyper Cascher, d’ailleurs, l’auteur revient au fondement de la recherche de renseignements à fin d’action à l’origine, à fin de culture du gouvernant ensuite, puis comme une arme de guerre pendant la Guerre froide autour de stratégies à long terme comme une quatrième dimension des armes, mais aussi pour dévoyer la vérité, « désinformer » les nations, comme l’avait identifié Vladimir Volkoff dans les années quatre-vingt. Il passe en revue beaucoup des typologies de recrutés ou de recruteurs, de techniques, les cryptages et les encres sympathiques jusqu’aux puissants ordinateurs de la NSA et leurs failles.

 J’ai eu peur au tout début, tout simplement fâché que l’auteur partant d’Hérodote au IVème siècle et le récit du message caché sous la cire de Démarate, se soit quelque peu emmêlé dans la chronologie. Il place ensuite SunTzu dans le même siècle alors que son Art de la Guerre fut écrit entre le VIème et VIIème siècle avant le Christ. Ce détail passé, je me suis plongé avec plaisir dans sa lecture et laisserait ce livre en très bonne place dans ma bibliothèque si spécialisée, parce qu’il n’est pas que le rappel des actes et doctrines d’espionnage depuis l’aube de l’Humanité, mais surtout parce qu’il essaye d’en tirer des enseignements globaux qui permettent de redonner sa place essentielle dans la gouvernance civile et guerrière au Service secret : Trouver le bon agent (il préfère officier de renseignement), un maître de son réseau d’informateurs, connaître son ennemi dans toutes les dimensions de ses pouvoirs et faiblesses, savoir ce qu’il envisage, ou non, et découvrir ce sur quoi un expert comme Percy Kemp a théorisé : le facteur humain qui créera l’outil indispensable à la désorganisation des nations ennemies.

 De la Chine impériale à l’époque contemporaine, du « millenium espionnage » au clin d’œil à Fleming du « le monde ne suffit pas », nous faisons en quelques heures (près de neuf cents pages tout de même) le tour du monde de l’histoire de l’espionnage, alimenté par une bibliographie fournie, un index irremplaçable et d’une table qui est la perfection dans le genre, parce qu’elle aide le lecteur à se servir de ce livre comme d’une bible du genre où l’on peut revenir facilement sur des périodes précises.

 j’ai apprécié et relirai sans doute souvent la deuxième partie dont le titre est une autre référence, cette fois à John Le Carré. Dans « le miroir aux espions », Kauffer nous livre une vision industrielle du Renseignement, où comment la Guerre froide donna aux Services des dimensions et des moyens qui n’étaient que confidentiels vers l’extérieur avant les années cinquante, pour devenir les monstres dont sont héritiers aujourd’hui les CIA, NSA, Et autres FSB. Il nous explique d’une façon intelligente que sans l’apprentissage du NKVD et du KGB « à l’intérieur », celui de faire circuler le renseignement global de la base vers le sommet du pouvoir, répliqué vers le camp adverse, la doctrine serait tout autre. Création des services d’illégaux implantés au plus près des centres de décisions, guerre des services avec la naissance de la CIA et celle d’une culture originale des « maîtres-espion », sorte de famille, qui s’échange ses hommes sur le pont de Glienicke entre Berlin et Postdam. 

 Je regrette tout de même un détail, au bout d’une conclusion intéressante qui veut montrer que l’espionnage pour le compte des États nations est redevenu patriotique, à l’inverse de celui des chocs des empires du temps de la Guerre froide. Je pense que Remi Kauffer aurait pu lancer son analyse un peu plus loin, c’est à dire aujourd’hui, quand les États-nations disparaissent au profit des Entreprises-états, avec leur propres réseaux d’espionnage « commerciaux » disent-ils, supranationaux, faits d’algorithmes, mais aussi d’hommes et de clients dont la notion de frontières est celle de leurs périmètres d’utilisateurs-clients.

 À avoir absolument dans sa bibliothèque, un sacré bon travail de recherches et d’analyses dans lequel on aimera revenir. 


Patrick de Friberg


Remi Kauffer, Histoire mondiale des Services secrets, Perrin, 2 septembre 2015

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