La cause du peuple, Buisson ardent


Voici un livre porté par la rumeur et promis à un succès éditorial important grâce au bruit médiatique. De par ses ambitions polémiques, politiques et voire historiques, La cause du peuple (le titre est-il un hommage à Sartre?) de Patrick Buisson, ouvrage passionnant, parfois naïf (ou sinon manipulateur) et parfois écœurant, a attiré l’attention du critique plus habitué aux champs de bataille napoléoniens ou au roman noir (en même temps, ça forme).

 

Un auteur controversé

 

Qui est Patrick Buisson au juste ? Licencié en Histoire, Buisson, royaliste revendiqué, a longtemps fréquenté l’extrême-droite et ses combats souvent nauséabonds. Il fut par exemple journaliste à Minute dans les années 80 et fut proche du Front National de Jean-Marie Le Pen. Mais notre homme rebondit et se reconvertit dans la décennie suivante comme conseiller d’hommes politiques de droite plus « présentables », à commencer par Philippe de Villiers. Parallèlement, il enchaîne une carrière de vulgarisateur historique, en publiant un ouvrage sur Sacha Guitry, Sacha Guitry et ses femmes (Albin Michel, 1996), puis sur les guerres d’Indochine et d’Algérie (les deux chez Albin Michel). Il choisit ensuite de se concentrer les aspects érotiques de la seconde guerre mondiale en France (1940-1945, années érotiques) avec un discours assez confus, axé sur la fascination « érotique » exercée par le vainqueur nazi sur certains segments de la population française. Personne ne parlerait en fait de Buisson comme historien s’il n’avait pas été conseiller de Nicolas Sarkozy (gageons que Villiers ne rapportait plus assez), d’abord lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, puis comme Président de la République. La cause du peuple se propose de chroniquer les hauts et les bas de cette relation qui finira mal (on reviendra dessus).

 

Buisson et Sarkozy : amour impossible

 

La lecture de ces 460 pages laisse au final une impression contrastée. L’auteur ne manque pas de style (venimeux) pour se faire le chroniqueur (impitoyable) des années de pouvoir de son chef et patron, Nicolas Sarkozy. Les médias ont retenu ses révélations sur sa (supposée) décision de 2006 de laisser des jeunes de banlieue venir, lors des manifestations contre le CPE, dévaliser des magasins et agresser les étudiants manifestants contre le dit nouveau contrat de travail. Soit, c’est largement possible et un travail d’investigation sérieux reste à faire sur le sujet. Le plus important ici est de noter une chose : comment ces deux-là ont pu travailler ensemble tant les différences abondent ? L’un se veut français jusqu’au bout de ses ongles, enraciné dans son terroir (lequel, on ne sait pas trop) tandis que l’autre, tel un miroir déformant (et dressé par Buisson avec ce qu’il faut de subjectivité), apparaît comme un « apatride », sans racines réelles (un juif quoi, Buisson fut antisémite dans sa jeunesse, rappelons-nous). Comment donc Patrick Buisson (là-dessus, le livre ne répond pas) s’est-il laisser abuser par ce séducteur qu’est Sarkozy à qui il a « vendu » le thème de l’identité nationale pour le faire élire ? Ou fut-il tout simplement attiré par l’observation du pouvoir en action (ou en « inaction » ?), sans compter l’appât des prébendes... Buisson, c’est donc un sommet d’hypocrisie et d’opportunisme.

 

Le grand savant...

 

La cause du peuple est aussi une œuvre œcuménique du déclinisme ambiant, dans le sens qu’il recense tout ce qui ne va pas en France. On retrouve chez lui les analyses de Zemmour, de Christophe Guilluy (il fait sans cesse référence à sa description de la France périurbaine), Christopher Lasch, sans oublier Alain Finkielkraut. C’est beaucoup, en incluant son usage inconsidéré des locutions latines et grecques qui marquent sa grande culture. Le passé « radical » de Buisson affleure ici et là : on relève ainsi sa volonté manifeste de défendre la mémoire des partisans de l’Algérie Française, égratignant au passage le Général de Gaulle, quitte d’ailleurs à lui jeter des fleurs ensuite pour son rôle de « monarque élu » !


Buisson brasse large, très large. Et c’est normal : de nombreux commentateurs ont relevé les nombreux déjeuners réunissant depuis l’automne dernier Philippe de Villiers, Eric Zemmour et Buisson. Leur but est simple : s’emparer de la droite. Ils doivent alors culbuter deux obstacles : Sarkozy et Juppé. L’ouvrage de Buisson, quelque soit ses mérites et ses thèses (proches de celles de  de Guilluy ou Finkielkraut) quant au diagnostic sur l’état de la Nation, vise donc à démolir Sarkozy et sert objectivement Juppé avec le pari suivant : au final, la droite, dans un état de complète destruction (car Juppé perdra selon eux au final), acceptera enfin de se ranger sous la bannière de l'identité nationale tant vantée par nos trois gourous. Voilà donc l’objectif politique tactique du livre, sorte de pari à trois bandes, comme au billard.

 

Les historiens futurs y trouveront en tout cas une chronique du mandat de Nicolas Sarkozy, un moment (signifiant ?) de l’histoire de la France.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Patrick Buisson, La cause du peuple, Perrin, septembre 2016, 464 pages, 21,90 €

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1 commentaire

A noter qu'il est vraiment très bellement écrit, il y a un sens de la formule et une vraie culture littéraire (et une admiration de Léon Bloy)