La balade humaniste de Peter Handke

Depuis 2004 et l’attribution du Prix Nobel de littérature à Elfriede Jelinek, l’Autriche attendait : 2019 fut enfin l’année du sacre pour Peter Handke, le plus francophile des Germains dont l’œuvre riche et protéiforme n’a de cesse de creuser dans les détails du quotidien des esquisses de réponses à nos turpitudes humaines sur le sens de la vie et la destinée des humains.
De L’angoisse du gardien de but au moment du penalty au scénario des Ailes du désir de Wim Wenders, chaque "aventure" est une découverte nouvelle de ce tout qui fait un rien, cet univers recourbé sur lui-même dans lequel nous tentons d’évoluer en perdant sans cesse notre boussole et le cap de nos envies… 

Ethnologue et sociologue, notre romancier au style si poétique, n’en demeure pas moins citoyen et ardant défenseur de notre si chère idée de la laïcité que personne ne veut comprendre, des Anglo-saxons aux islamistes dont les femmes sont encapsulées sous des draps foncés. Sans parler désormais de tous ces visages masqués pour la bonne cause, soi-disant…
Quid alors de la beauté, seul remède à l’amertume de nos temps incertains ? Pourquoi se refuser le regard des femmes ? Jamais de ma vie le visage non voilé d’une femme n’a déclenché chez moi un désir et encore moins ce qu’on appelle la concupiscence. Un visage doucement ouvert m’a réveillé de temps en temps, mais ce réveil était chaque fois un moment sacré, et surtout si ce visage m’a réveillé à moi-même, oui. Voilées et masquées, pour l’amour de Dieu, partez. 

Quittant sa demeure dans l’Oise pour se rendre à Paris, le narrateur rencontre une jeune femme qu’il a connu enfant, charmante petite fille qui chapardait parfois un fruit à une branche pendante et s’en allait légèrement d’un pied sur l’autre en croquant dans l’objet interdit ; d’où son surnom de Voleuse de fruits… Un joli prétexte pour scruter à la loupe les instants de vie de tout un chacun, des regards dans le train, des sourires à la terrasse d’un café, le chant du vent dans les arbres, les murmures des oiseaux, la saignée du soleil en fin de journée ; un rythme lent au pas de ses déambulations qui nous laissent enfin le loisir de prendre le temps, d’oublier cette immédiateté imbécile qui nous gouverne depuis que le digital a envahi l’espace commun. 
Or, que voyons-nous si nous ouvrons les yeux ? La peur désormais brandie tel le spectre royal invitant le peuple à se soumettre : peur du virus, peur du terroriste, peur de la vitesse, peur de la pollution, peur, peur, peur… Mais à cause de vous et de votre terreur spéciale, terreur étatique, je suis sur le point de perdre la foi dans les gens, dans l’humanité toute entière.
Et ce n’est pas l’écriture inclusive, la GPA ou la guerre des vaccins, sans oublier nos chers barbus, qui vont inviter à la joie de vivre et à la contemplation de la nature ; alors que, justement, la rédemption ne sera possible que dans l’oubli de ces dogmes politico-économico-religieux au seul profit du bien-être loin du tumulte des fous de Dieu, du CAC40 et des sondages d’opinion. 

Peter Handke nous livre ici la quintessence des possibles dans l’intimité de nos désirs en ce qu’il y a de plus près de nous, en nous contentons de ce que nous avons la chance de posséder, sans chercher à acquérir l'inutile, dans l’humilité d’un plaisir simple, celui d’un fruit à croquer, assis sur le bord d’un muret, face à la campagne… 

 

François Xavier 

 

Peter Handke, La voleuse de fruits ou aller simple à l’intérieur du pays, traduit de l’allemand (Autriche) par Pierre Deshusses, relu par l’auteur coll. "Du monde entier", Gallimard, novembre 2020, 390 p.-, 23 € 

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