Pétrarque et l’amour fou

Et si. Et s’il y avait un autre monument poétique que La Divine Comédie ? Trop vite énoncé comme le référent total et absolu, le chef-d’œuvre de Dante mérite un pair : Pétraque ; qui, d’ailleurs, écrivit ses poèmes plus d’une vingtaine d’années après Dante – ami de son père – et auprès de qui il se sent redevable au point de le citer plusieurs fois – sonnet 232, sixitine 214, chanson 264… – et comme le destin est taquin, ce fut Il Canzoniere qui fut publié le premier par Wendlin von Speyer, un typographe allemand, en 1470.
Dante ce sera deux ans plus tard.

Politicien, comme Dante, Pétrarque épousa Dieu à vingt-six ans, œuvra à Padoue comme chanoine avant d’être l’ambassadeur des Visconti à Venise. Il voyagea beaucoup à travers l’Europe, écrivit traités et correspondance – liés à ses activités diplomatiques – et s’offrit sur le tard de prendre le temps pour rédiger en parallèle une autobiographie latine, Secretum, sous la forme d’un dialogue philosophique imaginaire avec saint-Augustin, et Canzoniere.

Mais, contrairement à Dante qui écrivit son chef-d’œuvre en langue vulgaire, et donna au toscan ses lettres de noblesse, Pétrarque préféra le latin… par souci de simplicité (il échangeait avec nombre d’étrangers et faisait régulièrement le voyage entre l’Italie et la France), et aussi parce qu’il considérait ses poèmes comme des… broutilles.

D’ailleurs, il ne concevait pas, au départ, son livre comme un tout : ce n’est que vers 1353 qu’il débuta, sur les conseils d’amis, un assemblement en vue d’une organisation livresque. Une structuration compliquée à mettre en place, pas moins de neuf versions furent conçues de son vivant. Certains sonnets ou madrigaux furent écartés, perdus, oubliés, sans doute par négligence ; d’ailleurs la nonchalance de construction plonge d’emblée le lecteur dans une atmosphère particulière qui lui interdit tout commentaire thématique ou chronologique.
Il faut seulement écouter la musique des mots…

 

J’ai honte, Madame, de n’avoir pas
Fait honneur en vers à votre beauté.
Je rappelle le temps où je vis
Telle qu’aucune ne vous égalait.

 

La démarche de Pétrarque sera à l’opposée de celle de Dante, malgré des points communs dans la langue. Le premier est Arétin, exilé dans le midi de la France pour faire ses études, très vite attaché à l’Église, tout en dénonçant la présence pontificale en Avignon et plaidant pour un retour à Rome ; quand le second, Florentin, imprégné de politique est fort critique vis-à-vis du pouvoir temporel de l’Église et de Rome…
Canzoniere est plus un idéal qu’un rapport avec la vie du poète ; lequel eut de très nombreux lieux de résidence, deux enfants illégitimes et une vie professionnelle riche, aussi bien avec l’Université que l’Église. L’image qu’il donne dans ses poèmes, d’un amoureux solitaire, passionné d’une seule femme qui le séduit et qu’il idéalise, exalté par la chasteté de leur relation… n’est pas en prise avec son quotidien, ni sa vie qu’il achèvera auprès de sa fille, son gendre et son petit-fils, à Padoue…

 

Amour pleurait, moi avec lui, parfois
Car de lui jamais mes pas n’étaient loin,
Observant les effets, amers, cruels,
Sur votre âme libérer de ses nœuds.

 

Quand Dante décrit une expérience totalement imaginaire, Pétrarque procède de la manière inverse, peignant comme irréelle une expérience vécue. Il a ainsi élaboré un monument sentimental et conceptuel d’une grande abstraction lyrique, dans l’esprit de l’amour courtois des troubadours… Il épouse la souffrance des amoureux éconduits, ce qui explique son succès, ses poèmes repris, chantés, mis en musique par Monteverdi, Liszt, traduits en français puis plagiés par la Pléiade. Sans Pétrarque, Ronsard et Du Bellay auraient eu bien du mal à trouver l’inspiration, tout comme Maurice Scève et Louise Labé, tient à souligne René de Ceccatty dans sa préface.
Les sonnets de Pétrarque demeurent donc la référence de toute poésie amoureuse et obsessionnelle.

 

François Xavier

 

Pétrarque, Canzoniere – Rerum vulgarium fragmenta, traduit de l’italien et préfacé par René de Ceccatty, Poésie/Gallimard n°534, septembre 2018, 560 p. – 12 €

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