Écrivain français (ne en 1962) auteur de thrillers très remarquables

Le retour de Nathan Love : "La Dernière Arme" de Philip Le Roy

Deux, puis trois, puis une multitude de très belles jeunes femmes disparaissent dans des circonstances très mystérieuses, comme happées sous les yeux de leurs amants ou des caméras de surveillance, et d'elles ne subsiste qu'un peu d'eau. Toutes ont le même profil : leur beauté, leur jeunesse, leur diplômes impressionnants et leur amants, des magnats du monde moderne, chefs d'État ou patron de la grande Industrie. Pour infiltrer la « filière » et retrouver ces filles, il faut d'abord retrouver Nathan Love.

« Le bien et le mal étaient définis par la société et la religion. Nathan ne se situait par rapport à aucune des deux. »

À la fin du Dernier testament, Philp Le Roy avait laissé Nathan Love sur le chemin de la réclusion volontaire et zen afin de refaire un tout avec son être. C'est au plus profond d'une petite île perdu dans l'archipel australien que Sylvie, belle profileuse belge, va le chercher. Pourquoi lui ? personne n'a a priori ses capacités d'empathie et son absence totale d'ego nécessaire à mener à bien cette mission délicate qui est politiquement sensible et met en œuvre des moyens qui dépassent l'imaginaire. Une police normale n'y parviendrait pas. Nathan accepte, convaincu par deux raisons : l'argent, qui servira à sa sœur, et le sexe, qui constitue un élément nécessaire à l'équilibre et que Sylvie se fait un plaisir de délivrer directement...

« Si vous disparaissez, que devient la Somalie ? / — Les investisseurs perdront confiance, le pays replongera dans le chaos. »

Les filles qui disparaissent sont-elles vraiment les victimes d'une complot visant à atteindre leurs amants et d'une machination pour déstabiliser le monde — depuis leur disparition, des troubles apparaissent...  ? Un génie du mal à la James Bond voulant mettre le chaos en détruisant ces sources de stabilité et de bonheur ? Ces puissants aux mains de filles superbes qui les manipules ont commencé à faire le bien, à se sentir touchés par la fragilité du monde (le G300, qui les regroupe, pourrait sans dépasser 5 % de sa puissance éradiquer la faim dans le monde) et à abandonner leur gestion industrielle et purement comptable de la planète en agissant pour une mondialisation prospère. Partant sur la piste de chacune d'elle,  à Paris, Washington, en Afrique et en Asie, par un périple mené tambour battant avec force altercations et rencontres suaves, Nathan en vient à se demander si ces filles ne seraient pas, au contraire, des armes utilisées pour déstabiliser le monde et dont on se débarrasserait pour remettre de l'ordre ? les dernières armes, en fait, où la séduction absolue pour dominer le monde !

Nathan Love est pris entre deux forces qui vont mettre toute leur puissance et toute leur cruauté au service de l'assouvissement de leur soif réciproque du pouvoir, pour le garder ou pour le reprendre, n'hésitant ni devant la violence cruelle — plusieurs scènes très crues font froid dans le dos — ni devant la corruption. À travers l'enquête de Love, un chemin de croix de la prostitution en Europe se dessine également, car c'est à la main d'un mafieux — que les lecteurs du Dernier testament reconnaîtront — que tout aboutit et sa force, c'est l'avilissement des femmes pour servir de viande sexuelle sur les trottoirs des riches capitales. Leur traitement, de l'enlèvement à la soumission, les viols, les coups, l'humiliation de leur nature humaine rend d'autant plus pressante l'intervention de Nathan Love, non pas tant justicier que détonateur. Et c'est dans cette fange qu'il va devoir se plonger pour atteindre au cœur du drame et rétablir les équilibres dans le monde chaotique où la police tue aussi bien que la mafia, où les politiques ne sont que creuses marionnettes et où la femme n'est qu'une marchandise.

Un roman d'aventure et de tremblements, d'un noir profond et complexe qui agite les fantômes de la mondialisation et fait s'entrechoquer les conceptions humanitaristes et économiques de cette pandémie qu'est l'homme devant un Nathan Love toujours aussi serein, habité par l'Esprit du non-être et efficace machine à exploser les certitudes des puissants. Mené avec grand brio par un Philp Le Roy qui contrôle toujours aussi bien ses effets et ses personnages, mais qui ajoute encore, avec ce deuxième volet des « aventures » de Nathan Love, une maîtrise supplémentaire : celle du crédit que l'on donne à son personnage, au tissu d'intrigues où il va se perdre et au monde si impossible à croire pourtant qui se dessine derrière, incroyable illusion que le nôtre. Et Philip Le Roy, s'il ne s'en va pas dénoncer tel ou tel, pose un décor qui est lui-même déjà une cruelle déception pour les philanthropes.  La Dernière Arme est un maître-livre.



Loïc Di Stefano

PS : rarement depuis que je m'efforce de ne pas dire je dans un article je n'aurais été tenté de passer outre ce principe et de crier ma joie d'avoir été emporté, bringuebalé, malmené dans mes convictions confortables par le brio de ce récit, dont l'énergie m'habite encore et dont les quelques nuits blanches nécessaires pour en venir à bout n'auront été qu'un maigre sacrifice au regard  de la récompense...
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