"Les Jours fragiles" de Philippe Besson, les derniers jours de Rimbaud racontés par sa sœur.

Les derniers jours d’Arthur Rimbaud vus par sa sœur Isabelle à travers un journal fictif étalé sur cinq mois. Un journal tenu d’une main appliquée, laborieuse, s’efforçant de dépeindre avec l’ardeur d’une paysanne dévote l’agonie d’un frère de sang ; un prétexte à disséquer les liens entre des êtres que tout devait séparer dans une ambiance de mort – bilan d’une famille à l’agonie.

« Nous sommes une famille disloquée, détraquée. Avons-nous jamais été autre chose ? »

Ce que Philippe Besson donne à lire est en quelque sorte la version non expurgée de la biographie qu’elle écrira plus tard. Son obsession : qu’Arthur entre dans l’histoire sans tâche. Cinq mois, c’est le temps qui s’écoule entre l’amputation d’Arthur à Marseille et son enterrement dans le village natal de Roche. Ce sont aussi ces jours passés dans la maison familiale, en présence d’une mère froide et rancunière ayant depuis longtemps pris ses distances avec le fils maudit.

« Il faut arranger un peu nos souvenirs. Sans ça, la vie n’est pas supportable. »

Isabelle est un produit de la terre. Une terre où la grisaille contamine les corps et les mentalités. Un vent de superstition, de deuil larvé imprègne chaque page du journal où tout fait signe. La foi d’Isabelle est rongée par le fatalisme, la résignation, mais c’est pourtant cette foi qui la porte, l’illumine et la pousse à aimer ce frère malgré des provocations permanentes.

« Je l’aide à traverser les jours comme je peux. »

De Rimbaud il y a celui que l’on sait, celui des fulgurances géniales et de Verlaine, l’éternel adolescent d’une photographie devenue icône, et puis il y a Arthur, la face cachée du poète solaire, celui que connaît Isabelle : un homme amputé, trafiquant d’armes, revenu d’Aden, contraint de pourrir dans un endroit qu’il a toujours fui. Lui, qui écrivait dans Une Saison en Enfer comme une sombre prophétie : « Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. » sera porté jusqu’à la tombe, à bout de bras, par celle qui de Rimbaud ne savait presque rien, si ce n’est l’intuition d’une postérité.

« Cependant, comment ignorer tout à fait qu’Arthur a fait, un jour, de la poésie ? »

Lorsque Arthur revient explicitement ou de façon allusive sur certains épisodes de sa vie, Isabelle demeure interdite. Soit que les propos lui sont inintelligibles, soit que les révélations lui sont trop effroyables. C’est ainsi, sans commentaire, qu’elle s’attache à retranscrire ses paroles. Des mots où Dieu reste exclu, en dépit d’une impossibilité à admettre sa fin imminente. Cela malgré la ferveur d’Isabelle et cette fameuse conversion, dix jours avant sa mort, qui a tout l’air d’un message, avant d’être un mensonge, peut-être ; un geste d’amour tendu vers elle.

« Je recopie ces mots en tremblant. »

Inspiré de la biographie controversée de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère (1), Besson exprime clairement ses partis pris sur le parcours du poète, notamment à propos du poème Le Cœur supplicié où Rimbaud évoque une scène de viol collectif pendant la Commune. Si l’on peut discuter certaines prises de position, l’auteur se démène plutôt bien lorsqu’il s’agit de faire parler Arthur. Aucune sentence pompeuse ni clin d’œil lourdingue, ce qui mérite d’être souligné. Là où certains auraient débordé jusqu’au ridicule dans l’idée qu’un poète s’exprime à plein-temps comme il écrit, Besson nous présente avant tout un être de chair, fragile et dévoré par une souffrance crasseuse.

Ce souci de réalisme possède aussi sa part d’ombre, précisément dans le cas d’Isabelle Rimbaud dont nous ne sommes pas censés attendre des performances littéraires mémorables. Résultat, le style quasi scolaire de la supposée diariste n’est pas des plus captivants – à moins bien entendu que dans le cas présent la sœur infortunée n’y soit pas pour grand-chose.

Arnault Destal

(1) Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère chez Fayard

Philippe Besson, Les Jours fragiles, 10/18, janvier 2011, 151 pages, 6 €
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