L’Arbre du pays Toraja, de Philippe Claudel : Mortelle randonnée

L’auteur des Âmes grises nous emmène dans un drôle de voyage : le dernier, celui dont on ne revient pas. Le personnage principal, un cinéaste de cinquante ans, perd Eugène, son meilleur ami. La maladie progressivement grise le visage de l’autre, le raye du monde des vivants. Impuissant, l’homme bien portant regarde le malade s’en aller.

 

Qu’est ce que sont les vivants ? Quel est le plus haut degré du vivant ? s’interroge le narrateur. Il se souvient d’un de ses voyages en Indonésie et de cette peuplade qui fait des arbres un linceul pour ceux qui sont partis, les gardant ainsi un peu plus sur terre.

 

Le narrateur convoque ses premiers films, ses premiers émois. Est-ce de la nostalgie, ce poison de la cinquantaine ou la conscience du temps qui passe ? Heureusement, le cinéaste vit entre deux femmes, entre deux amours. Celui d’Elena, sa voisine, plus jeune que lui de vingt ans, scientifique qui l’accepte tel qu’il est et Florence, son ex-femme avec qui la complicité, y compris charnelle, reste intacte.

 

Il y a aussi les rencontres : Philippe Claudel raconte dans deux scènes savoureuses un improbable hamburger partagé chez Mac Do avec le grand Michel Piccoli, un regard amusé de l’immense Milan Kundera dans un bar anonyme...

 

Il y a aussi la vieille mère du narrateur, morte-vivante, enfermée dans sa démence, l’ombre d’un bébé qui n’a pas vécu, un copain qui à 19 ans a choisi la nuit. C’est beau, c’est triste.

 

Les meilleures pages sont dédiées à l’amitié, celle qui liait Eugène, dans lequel on reconnaît sans peine le très regretté éditeur Jean-Marc Roberts. Peut-être s’agit-il là du vrai couple du livre, après tout.

 

Ce beau livre traversé par la mort est sauvé par l’amour, l’amitié et les cafés parisiens. Cela ressemble à du Sautet. Entre passé et présent, Philippe Claudel a construit son propre arbre pour retenir les vivants : la littérature sert aussi à cela.

 

Ariane Bois

 

Philippe Claudel, L’Arbre du pays Toraja, Stock, janvier 2016, 209 pages, 18 € 

 

> Lire un extrait de L’Arbre du pays Toraja de Philippe Claudel

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